Trouver la joie dans les soins de longue durée avec Pat Armstrong, experte et chercheuse éminente
Une préposée aux bénéficiaires (PAB) a perdu tellement de patients dans son centre de soins de longue durée au début de la crise de la COVID-19 qu’elle ne peut plus tolérer le bruit de la fermeture éclair de son manteau d’hiver. Cela lui rappelle le bruit des fermetures éclair des housses mortuaires qui ont emporté les personnes dont elle s’occupait.
L’auditoire de Fredericton a sursauté lorsque Pat Armstrong a raconté cette histoire lors de sa conférence sur la joie dans les soins de longue durée, la semaine dernière. Les soignants ont l’habitude de perdre des gens, mais pas autant d’un seul coup comme ce fut le cas lors de la pandémie.
L’éminente chercheuse a créé l’expression « les conditions de soins sont les conditions de travail », qui est aujourd’hui un slogan des infirmières et d’autres travailleurs de la santé, et qui a même été reprise par le premier ministre Justin Trudeau.
La professeure émérite Pat Armstrong a captivé l’auditoire composé d’étudiants, de professeurs, de travailleurs de la santé et d’administrateurs avec son discours sur la quête de la joie dans les établissements de soins de longue durée et les maisons de retraite, dans le cadre de la conférence commémorative Dr T. LeRoy Creamer à l’Université St. Thomas à Fredericton, le 3 octobre 2024. Cette conférence a été organisée par le département de gérontologie de l’Université St. Thomas et par Albert Banerjee, collègue et ancien étudiant d’Armstrong, gérontologue et titulaire de la chaire de recherche en santé communautaire et vieillissement.
La sociologue de la santé la plus respectée au Canada a mis l’auditoire au défi de réfléchir à la manière de « mettre de la vie dans les années et non des années dans la vie ».
Pour Armstrong, il y a trois sources de joie à prendre en compte dans les soins de longue durée.
La première concerne les relations interpersonnelles. Armstrong a décrit l’importance des relations significatives qui peuvent se développer entre le personnel soignant, les résidents, les familles et les bénévoles. Pour Armstrong, cela nécessite du temps et une continuité des soins. Le manque de personnel par contre fait que le strict minimum est fait pour maintenir les résidents en vie, au lieu de faire en sorte que la vie soit enrichie et vaille la peine d’être vécue au quotidien.
L’exercice des compétences et le renforcement des capacités de chacun dans une maison de soins, pour le personnel soignant et les résidents, sont la deuxième source où l’on peut trouver de la joie, selon Armstrong.
« Nous devons faire davantage confiance aux personnes qui fournissent les soins pour qu’elles décident de ce qui doit être fait pour et avec un résident, en fonction de ce qu’elles savent du résident, mais cela signifie aussi qu’il doit y avoir une continuité des soins pour qu’elles connaissent les résidents et qu’il y ait de la complicité entre aidants et patients », a déclaré Armstrong à CBC Info Morning Fredericton.
« Nous tenons pour acquis que les résidents ne sont pas en mesure de faire des choses… En Norvège, lorsque nous avons étudié les maisons de soins de longue durée, nous avons vu une chorale composée principalement de personnes atteintes de démence et non verbales, et cette chorale se produisait même devant des spectateurs. Nous devons réfléchir aux compétences des résidents et nous appuyer sur leurs capacités », selon Armstrong.
Lors de la conférence, Armstrong a raconté l’histoire d’un chef cuisinier dans un centre de soins qui a trouvé du plaisir à préparer les repas de manière à ce que les pensionnaires reçoivent les nutriments dont ils ont besoin. Les résidents se sentaient dépassés par les grandes portions de nourriture qu’on leur servait et ne mangeaient pas leur repas ; le chef a donc trouvé un moyen de servir les repas en portions attrayantes pour les résidents.
Le choix est la troisième source de joie. Les choix concernant la nourriture, les vêtements, les loisirs et l’intimité, et même la mort, font une différence dans la vie des résidents.
Armstrong a remis en question l’idée selon laquelle tout le monde veut vieillir chez soi. La maison n’est pas un espace sûr pour tout le monde, et les maisons peuvent aussi être des lieux solitaires. Les établissements de soins de longue durée peuvent être des endroits où les gens trouvent une communauté et ne se sentent pas comme un fardeau pour les membres de leur famille.
Une préposée aux bénéficiaires qui s’est identifiée comme membre du SCFP a confirmé les propos d’Armstrong sur les niveaux de dotation en personnel dans ce secteur de soins, en soulignant le préjudice moral qui découle de ce travail. « Nous nous battons pour nos résidents », a-t-elle déclaré. Elle a blâmé le premier ministre Blaine Higgs pour la crise des soins de longue durée, suscitant les applaudissements de l’auditoire. Elle n’est pas seule à penser de cette façon.
En réponse au rapport de l’auditeur général du Nouveau-Brunswick, Paul Martin, publié en juin, qui critiquait les dépenses du gouvernement Higgs en agences de recrutement à but lucratif pour un montant de 175 millions de dollars, le SCFP 1252, le Conseil des syndicats hospitaliers du Nouveau-Brunswick, représentant plus de 9 000 travailleurs de la santé, a déclaré que cet argent aurait dû être investi « dans nos travailleurs de la santé en place qui travaillent fort ».
Le syndicat a fait remarquer que les préposés du secteur public travaillant dans le domaine des soins gagnaient 23 dollars par heure, tandis que ceux qui étaient sous-traités gagnaient jusqu’à 162 dollars par heure, ce qui est inimaginable. Le syndicat ajoute : « Et ce n’est pas tout. Aucun reçu n’est exigé pour les dépenses telles que les vols aériens, les repas et les hôtels. Les contrats sont entièrement rédigés par les agences de recrutement, sans aucun contrôle. Aucun contrôle juridique des contrats n’est appliqué. Des entreprises facturent pour des quarts de travail de 12 heures, alors que leurs employés travaillent aussi peu que 3,5 heures ».
« Tandis que le gouvernement paie le personnel du secteur public des salaires de crève-faim, il déroule le tapis rouge aux prédateurs des entreprises. Trop, c’est trop! Il est temps de mettre fin à cette aide sociale aux agences privées et d’investir dans notre personnel de santé publique », a déclaré le SCFP 1252.
Élection sur les soins de santé au Nouveau-Brunswick le 21 octobre
La conférence d’Armstrong tombait à point nommé, puisque des élections provinciales auront lieu au Nouveau-Brunswick le 21 octobre. Les soins de santé sont un enjeu électoral majeur.
Le chef du Parti progressiste-conservateur, Blaine Higgs, a déclaré à un auditoire d’hommes d’affaires lors d’un événement organisé par la Chambre de commerce de Fredericton à l’Université du Nouveau-Brunswick le 7 octobre, qu’il améliorera les soins de santé grâce à son « sens accru des affaires » s’il est réélu pour un troisième mandat en tant que premier ministre.
Alors que la privatisation des soins de santé au Nouveau-Brunswick est décrite comme étant en plein essor, Susan Holt, cheffe du Parti libéral, a déclaré à la Coop Média NB en mars que son parti ne privatiserait pas davantage les soins de santé et qu’il réexaminerait les contrats conclus avec Croix Bleue Medavie pour les services de soins de santé. Cela marque un changement de politique par rapport au dernier gouvernement libéral du Nouveau-Brunswick, qui a sous-traité les services de télésoins et autres à Croix Bleue Medavie.
David Coon, de Parti vert, a déclaré qu’ils considéreraient l’accès aux soins primaires comme un droit, supprimeraient les délais d’attente, feraient des investissements de plusieurs millions de dollars et transformeraient les cabinets médicaux en équipe médicale collaborative communautaire.
Le NPD s’est engagé à lancer 40 cliniques de santé communautaire à travers la province, à se joindre à l’initiative fédérale d’assurance médicaments, à œuvrer en faveur de l’assurance médicaments universelle en supprimant les primes de l’actuel régime d’assurance médicaments tout en augmentant le nombre de personnes admissibles, et à élargir le régime d’assurance-maladie afin de couvrir les soins en santé mentale.
Lors d’une entrevue avec la Coop Média NB, Pat Armstrong a été rejointe par son partenaire et collègue Hugh Armstrong, professeur émérite de travail social à l’Université Carleton et membre du conseil d’administration de la Coalition ontarienne de la santé. Hugh Armstrong a fait valoir que le terme « profitization » (ou « rentabilisation ») était plus approprié que « privatization » (privatisation) pour décrire les problèmes des soins de santé, notant que les organismes sans but lucratif embauchent souvent des agences à but lucratif pour les gérer, qu’ils sont gouvernés par des représentants d’entreprises et qu’ils sont gérés selon des modèles d’affaires.
Pat Armstrong estime qu’il faut plus d’argent dans les soins de santé, « mais il n’est pas seulement question d’argent ». Elle souhaite que des stratégies soient mises en place pour retenir les travailleurs de la santé, notamment en améliorant leurs conditions de travail. Armstrong, qui est membre du conseil d’administration de la Coalition canadienne de la santé a également déclaré que les services doivent être maintenus dans le système public et que le profit doit être éliminé des soins de santé.
Un étudiant en sociologie de la santé à l’Université St. Thomas a fait remarquer qu’il ne s’attendait pas à éprouver un sentiment d’optimisme à sa sortie d’une conférence sur les soins de longue durée, mais qu’il l’était.
Un membre de l’auditoire a demandé à la Professeure Armstrong : « Où Pat Armstrong trouve-t-elle de la joie? » Sans hésiter, elle a répondu : « En cherchant à mieux comprendre et à résoudre ce problème ».