Passer le flambeau pour une meilleure assurance-maladie
Un médecin urgentologue qui propose des solutions aux temps d’attente, un militant qui défend les soins de santé reproductive, et deux hommes qui ont des histoires à partager sur les premiers jours de la Loi canadienne sur la santé ont beaucoup à dire sur les soins de santé publics en 2024.
Edward Xie, de Médecins canadiens pour le régime public, Fréderique Chabot d’Action Canada, Ian Johnson et Robert Barkwell, de la Nova Scotia Health Coalition, ont participé à l’avant-dernière séance de la table ronde de recherche sur la Loi canadienne sur la santé à 40, qui s’est tenue le 20 juin à l’Université d’Ottawa.
La table ronde peut être visionnée ici —
Des solutions pour réduire les temps d’attente
Edward Xie est urgentologue, professeur adjoint et doctorant à l’Université de Toronto. Avec d’autres membres de l’association Médecins canadiens pour le régime public, il travaille sur le projet « Public Solutions to Reduce Wait Times » (Solutions publiques pour réduire les temps d’attente). L’équipe de recherche se concentre sur les défis liés aux temps d’attente, en particulier pour les consultations de spécialistes, les chirurgies et les soins d’urgence.
« Le projet a vu le jour en 2022-2003, à la suite de la préoccupation que soulevaient les récits qui encadraient le financement privé et la prestation des soins à but lucratif, avec des idées telles que la réforme, l’innovation et la commodité, tout en éludant les préoccupations relatives à l’inefficacité, à la responsabilité, à l’équité et à la durabilité. Notre objectif était de redynamiser la vision d’un système public fort pour tous et les voies possibles pour le renforcer », a déclaré Xie.
Xie et son équipe ont procédé à une analyse de la recherche portant sur des stratégies relatives aux temps d’attente qui ont donné de bons résultats dans les systèmes de soins financés par l’État. Ils ont trouvé sept stratégies prometteuses. Lors de la table ronde, Xie s’est concentré sur trois de ces stratégies : les systèmes d’admission centralisés, les consultations électroniques et l’accès primaire aux soins.
« Un examen systématique de neuf études portant sur des systèmes d’admission centralisés au Canada, en Australie et en Angleterre a révélé que les temps d’attente étaient en moyenne réduits de 57 % pour les consultations chirurgicales et de 40 % pour les consultations de médecine interne », a déclaré Xie.
Xie a cité des exemples canadiens de réduction des temps d’attente grâce à des modèles d’admission centralisée : un système de radiologie à l’Université Memorial de Terre-Neuve a permis de réduire les temps d’attente entre l’imagerie et le traitement de 118 à 80 jours. Le Edmonton Bone and Joint Centre a réduit les temps d’attente entre l’orientation et la chirurgie de 54 jours dans l’ensemble et de 86 jours pour les patients les plus urgents. Le réseau de soins primaires d’Edmonton Nord a réduit les temps d’attente moyens entre les soins primaires et un rendez-vous avec un spécialiste de 96 à 73 jours. En Saskatchewan, un système regroupant 18 groupes de spécialistes a permis de réduire les temps d’attente d’environ 50 %.
Dr Xie a ensuite abordé la question des consultations électroniques ou des soins connectés : « Il s’agit d’un modèle de consultation à distance, sécurisé et bref avec des spécialistes pour des questions qui ne nécessitent pas nécessairement un face-à-face en personne ou une consultation complète avec les patients. Cela permet d’accélérer l’intervention clinique ou de rassurer en répondant rapidement à l’incertitude ».
Les principaux modèles de consultation électronique au Canada sont le programme RACEMC (Accès rapide à une consultation fondée sur l’expertise) et le projet de consultation électronique BASEMC de Champlain.
« Il s’agit d’une réussite », a déclaré Xie. « Nous ne la célébrons pas assez. Il s’agit d’un modèle qui s’est déjà répandu et étendu à travers le Canada, avec le soutien d’organisations pancanadiennes. Certains systèmes ont enregistré des dizaines de milliers de consultations depuis leur création.
Le Dr Xie a ensuite expliqué comment les soins en équipe en Alberta, au Québec et en Ontario ont permis de réduire le nombre de visites aux urgences. « En Ontario, par exemple, on observe une différence faible, mais significative de 2 % au fil du temps entre les soins en équipe et les modèles sans équipe, ainsi que des avantages évidents en termes de continuité et d’accès global », a déclaré Xie.
« Nous avons une loi sur l’avortement au Canada. Elle s’appelle la Loi canadienne sur la santé »
Fréderique Chabot est directrice exécutive par intérim d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels, une organisation nationale qui protège et fait progresser la santé et les droits sexuels et reproductifs au Canada, et dans le monde entier. Chabot travaille à Action Canada depuis dix ans, où elle dirige les activités de promotion de la santé et de défense des droits au niveau national.
Chabot a évoqué les effets au Canada de l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade aux États-Unis en 2022.
« Le paysage juridique et politique en matière d’avortement au Canada est très différent de celui des États-Unis. La façon dont l’avortement est inscrit dans la loi ou considéré comme un droit est très différente de celle des États-Unis. Bien avant 2016, il était en fait tout à fait impensable que l’arrêt Roe c. Wade soit renversé, il a donc fallu un ensemble de circonstances parfaitement alignées pour que cela se produise et nous devons donc également être vigilants pour voir émerger des tendances semblables au Canada », a averti Chabot.
« Il a fallu que Trump soit élu, que des juges soient nommés à la hâte à la Cour suprême, qu’ils mentent au Congrès sur leurs intentions, et que des affaires juridiques soient déclenchées pour que cela se produise », a déclaré Chabot.
Chabot a rappelé que l’avortement est une procédure médicale courante. « Au Canada, une personne enceinte sur trois aura recours à l’avortement au cours de sa vie. Je pense que c’est plus courant que de se faire enlever les dents de sagesse ».
Une nouvelle loi consacrant le droit à l’avortement au Canada avait été évoquée, mais Chabot a fait remarquer qu’elle avait été rapidement supprimée grâce à leur intervention de sensibilisation. « Nous avons une loi sur l’avortement au Canada. Elle s’appelle la Loi canadienne sur la santé », a déclaré Mme Chabot, qui a mis en garde ceux et celles qui étaient présents contre la politisation de certaines procédures médicales.
Se référant à la Loi canadienne sur la santé, Chabot a déclaré : « Nous avons des normes sous lesquelles nous pouvons travailler. Nous avons des mécanismes qui peuvent être renforcés. Il y aura peut-être une Loi canadienne sur la santé 2.0, mais en fait nous avons des mécanismes qui peuvent être utilisés pour améliorer l’accès à une procédure médicale cruciale ».
« Les médecins de famille et les infirmières praticiennes au Canada ont intégré l’avortement dans les soins de santé primaires, où il a sa place, ce qui est incroyable. Cela a également permis de déstigmatiser cette procédure médicale très courante et fait partie d’un progrès vraiment merveilleux », a déclaré Chabot.
Les droits en matière de santé reproductive ne sont pas l’objectif final, a fait remarquer Chabot.
« C’est bien beau d’avoir le droit à l’avortement, mais quand les maternités ferment au Québec et que les patientes doivent faire quatre heures de route pour accoucher, cela n’a pas vraiment d’importance que nous ayons le droit aux soins de santé reproductive. De même, si les cliniques sont incapables de pratiquer des avortements au-delà d’un certain seuil parce qu’il n’y a pas d’infirmières pour y travailler, le fait que nous ayons le droit à l’avortement au Canada est-il important? »
Chabot craint que le Canada ne subisse une pression à l’américaine visant à saper les normes nationales ou les principes généraux qui guident certaines questions politiques.
« Nous l’avons vu récemment avec les soins de santé pour les transgenres et les politiques d’éducation concernant les pronoms et la protection des jeunes transgenres dans les écoles, où la clause nonobstant a été invoquée en Saskatchewan. C’est un exemple de menace où il y a un effort très concerté pour nous faire abandonner un discours global sur le type de système de santé que nous voulons », a déclaré Chabot.
MChabot a fait la promotion de l’outil de suivi de l’accès à l’avortement d’Action Canada, un site Web qui « illustre le paysage juridique de l’avortement au Canada et la réalité de l’accès aux soins en matière d’avortement dans tout le pays. Grâce à cette ressource, nous visons à mieux comprendre les lacunes et à identifier les possibilités de protéger et d’améliorer l’accès à l’avortement par le biais de politiques et de lois ».
Pour Chabot, la Loi canadienne sur la santé nous offre une carte et des possibilités de combler les lacunes et l’accès asymétrique aux soins de santé.
« Un jour mémorable »
Ian Johnson et le Dr Robert Barkwell, défenseurs de longue date des soins de santé publics, ont clôturé la session.
Ian Johnson est le président fondateur de la Nova Scotia Health Coalition. Il a contribué à l’organisation de la série de conférences publiques sur l’assurance-maladie en 1983, à l’échelle de la province.
« La première réunion de la Coalition canadienne de la santé à laquelle j’ai assisté se déroulait dans un genre d’hôtel dérobé. Je me souviens que Tommy Douglas assistait à cette réunion et je me souviens m’être posé la question : quel genre de groupe est-ce? », a dit en riant Johnson.
« C’est un jour important pour moi, car il marque l’aboutissement d’une grande partie de ce que j’ai essayé de faire au cours des 40 dernières années. Je pense que c’est un moment très opportun pour faire l’évaluation que nous faisons et pour examiner où et comment nous pourrions aller de l’avant », a déclaré Johnson, qui a participé aux présentations de la Coalition canadienne de la santé et de la Nova Scotia Health Coalition devant le comité de la Chambre des communes chargé d’examiner la Loi canadienne sur la santé avant qu’elle ne soit promulguée.
« L’année 1982-1983 a été un peu floue tellement il y avait de l’activité. Nous avons organisé une tournée dans la province. Nous avons travaillé en étroite collaboration et présenté ce que nous pensions qui devait être fait. Nous faisions partie de ce que nous considérons comme un mouvement national et même international, luttant pour sauver l’assurance-maladie et pour faire avancer ce que nous pensions être important et digne de l’être », a déclaré Johnson.
« Nous étions parmi les groupes dont parle Monique Bégin, les 75 groupes qui ont participé à la série de forums communautaires menant à l’introduction de la Loi canadienne sur la santé. Nous avons participé à ce processus », a déclaré Johnson.
Johnson souligne que la surfacturation existe depuis longtemps dans le secteur de la santé, mais que la pression publique a permis d’arrêter le train en marche vers l’augmentation de la surfacturation et des frais d’utilisation dans le secteur de la santé.
« En 1983-1984, environ 50 % de nos médecins pratiquaient la surfacturation en Nouvelle-Écosse. Nous avons également entendu parler de la menace des frais d’utilisation dans les hôpitaux. Nous avons travaillé dur pour y mettre fin. Cela ne s’est pas produit en raison de la pression accrue du public », a déclaré Johnson.
Le Dr Robert Barkwell est un médecin de famille qui a récemment pris sa retraite, et le président de la Nova Scotia Health Coalition.
« Je vais commencer par admettre que je suis assez vieux pour avoir vu le juge Emmett Hall essayer d’expliquer l’assurance-maladie à une foule de médecins anxieux, en colère et hostiles dans une salle de bal enfumée de l’hôtel Omni King Edward à Toronto », a déclaré le Dr Barkwell, dont le premier emploi après son internat a été à la clinique communautaire de Saskatoon “alors que les cicatrices de la grève des médecins de 1962 étaient encore à vif ».
Selon le Dr Barkwell, le paysage des soins de santé a changé et doit être examiné dans le contexte du capitalisme. Il note que la santé est affectée par la flambée des prix des produits alimentaires et du logement.
Le Dr Barkwell s’inquiète de ce qu’il advient des données des patients à mesure que des acteurs privés fournissent des soins de santé.
« Le stockage électronique de données en vrac et les dossiers médicaux électroniques (DME) ont créé des opportunités de privatisation à but lucratif qui n’avaient pas été prévues en 1984. Dans ma province, la Nouvelle-Écosse, tous les médecins qui utilisent un DME doivent utiliser soit l’application de santé de Telus, soit un DME d’un concurrent beaucoup plus petit et moins connu. L’accord passé par le gouvernement de l’époque avec ces deux fournisseurs était un accord à source unique, non concurrentiel et non public. Sans surprise, l’application Telus se taille la part du lion sur le marché. Il n’y a pas de clarté sur l’endroit où les données sont stockées, sur qui y a accès et à quelles fins, parce qu’elles sont « commercialement sensibles » et donc indisponibles », a-t-il souligné.
Dans l’assistance, le Dr Michael Rachlis, analyste de la politique de santé basé à Toronto et l’un des principaux experts du système de santé canadien, a fait un commentaire sur l’amélioration des soins de santé : « La potion magique consiste à donner au patient ce dont il a besoin dès qu’il pense en avoir besoin ».
Voici le septième blogue d’une série résumant ce qui a été entendu lors de la table ronde de recherche sur la Loi canadienne sur la santé à 40 ans, qui s’est tenue à l’Université d’Ottawa le 20 juin 2024. Cette table ronde était organisée par la Coalition canadienne de la santé et le Centre de droit, de politique et d’éthique de la santé de l’Université d’Ottawa, avec le soutien de l’Université St. Thomas à Fredericton.
Les webinaires précédents peuvent être visionnés sur la chaîne YouTube de la Coalition canadienne de la santé.