L’entente du fédéral relative aux dépenses de santé ne calme pas les inquiétudes par rapport à la privatisation
Les défenseurs des soins de santé publics sont déçus et mettent en garde par rapport à l’entente de financement des soins de santé conclue entre le gouvernement fédéral et les 13 provinces et territoires.
Le 7 février, à Ottawa, lors de la rencontre tant attendue, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé l’intention du gouvernement fédéral d’augmenter le financement en santé des provinces et des territoires de 196,1 milliards $ sur 10 ans, y compris 46,2 milliards $ de nouveaux fonds.
Les dépenses prévues par le gouvernement fédéral comprennent deux volets : des augmentations au Transfert canadien en matière de santé régi par la Loi canadienne sur la santé, et 25 milliards $ en programmes spéciaux qui devront être négociés individuellement avec chaque province dans le cadre d’ententes bilatérales.
Bien que certains aient exprimé un optimisme prudent par rapport aux dollars supplémentaires et aux engagements, d’autres groupes pensent qu’il y a encore du travail à faire.
Peu de reddition de compte pour les dollars fédéraux en santé
L’entente est loin de répondre aux attentes de la Coalition canadienne de la santé. Pauline Worsfold, IA et présidente de la Coalition, a mentionné aux journalistes qu’elle appuie le financement supplémentaire mais pas sans un mécanisme pour assurer une reddition de compte.
« Les risques au régime canadien d’assurance-maladie ne pourraient pas être plus grands », a-t-elle dit lors d’une conférence de presse le 6 février. « Le premier ministre Trudeau doit insister pour avoir une garantie de ses homologues provinciaux et territoriaux à l’effet que chaque dollar en transfert du gouvernement fédéral soit bel et bien utilisé dans le secteur de la santé, et non pas pour réduire les impôts ou pour des remises qui relèvent du gaspillage.
Or, il y a de bonnes raisons de penser que c’est ce que les premiers ministres vont faire. Le Centre canadien de politiques alternatives a mis au jour un exposé de position, rédigé conjointement par toutes les provinces et les territoires, et qui suggère que les premiers ministres ont l’intention d’utiliser zéro dollar des augmentations au transfert fédéral pour dépenser davantage en soins de santé.
Sachant cela, le premier ministre Trudeau ne fait rien pour empêcher l’utilisation des dollars en santé à d’autres fins, par exemple les remboursements des dettes provinciales.
Dans un nouveau rapport publié aujourd’hui et intitulé No strings attached: Canada’s health care deal lacks key conditions, l’économiste David Macdonald souligne que l’entente fédérale exige que les provinces dépensent seulement 58 cents de chaque nouveau dollar pour de nouveaux programmes en santé – à peine une majorité – tout en laissant le reste sans exigences.
L’entente fédérale ne calme pas les inquiétudes par rapport à la privatisation
Les défenseurs des soins de santé publics s’opposent aux plans de certaines provinces qui veulent aiguiller les services hospitaliers vers les cliniques privées à but lucratif.
« Nous ne voulons pas que les dollars versés pour les soins de santé publics aillent aux cliniques privées à but lucratif exploitées à l’extérieur du système d’assurance-maladie », précise Worsfold. « Les soins de santé privés ne vont pas réduire les délais d’attente dans le système public. C’est plutôt le contraire. Les délais d’attente vont augmenter. Cela va aussi augmenter les iniquités au sein de notre système. »
La Loi canadienne sur la santé n’interdit pas explicitement aux provinces de dépenser les dollars publics pour payer les fournisseurs de services de santé à but lucratif, une pratique qui, selon Ron Davies, député et porte-parole du NPD en matière de santé, crée un système à deux vitesses.
« Les cliniques à but lucratif partout au Canada vendent un accès préférentiel aux chirurgies à ceux et celles qui ont l’argent pour payer », a souligné Davis à la Chambre des communes hier. « Elles tirent avantage d’une faille dans la Loi canadienne sur la santé.
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L’assurance-médicaments absente des priorités comprises dans les ententes provinciales
Dans un communiqué de presse, le bureau du premier ministre Trudeau mentionne que les 25 milliards $ alloués aux ententes bilatérales sur mesure seront utilisés pour les services de santé familiale, les travailleurs de la santé et les retards accumulés, la santé mentale et la toxicomanie, et un système de santé modernisé.
Absent de la liste des priorités fédérales est le régime public et universel d’assurance-médicaments qui permettrait aux provinces de couvrir le coût des médicaments sur ordonnance pour les patients.
« Il est temps que le gouvernement fédéral respecte finalement sa promesse de mettre en œuvre un régime public et universel d’assurance-médicaments », mentionne Worsfold aux journalistes.
L’engagement du premier ministre Trudeau envers Jagmeet Singh, chef du NPD, dans le cadre de l’Entente entre le Parti libéral et le NPD comprend l’adoption d’une loi sur l’assurance-médicaments d’ici la fin de 2023, ainsi que d’autres étapes préparatoires. Trudeau ne s’est pas engagé à financer le régime public d’assurance-médicaments et les experts sont inquiets et pensent que les quatre autres priorités risquent d’éclipser le financement de ce régime lorsque ce sera nécessaire.
Le mémoire soumis par la Coalition canadienne de la santé dans le cadre des consultations pré-budgétaires presse le gouvernement d’aller de l’avant avec la loi sur l’assurance-médicaments avant la fin de 2023 afin d’offrir la couverture gratuite des médicaments sur ordonnance. Cette couverture ferait l’objet d’un financement de 3,5 milliards $ pour les médicaments essentiels, tel que recommandé par le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, conseil créé par le gouvernement en 2019.
Les défenseurs planifient un lobby ambitieux à Ottawa en 2023
L’engagement du gouvernement fédéral par rapport aux dépenses de santé des provinces et des territoires nous laisse encore beaucoup à faire pour défendre et améliorer les soins de santé publics.
Dans le cadre de sa campagne Santé + Espoir 2025, la Coalition canadienne de la santé va rassembler travailleurs de la santé et défenseurs des soins de santé publics afin qu’ils puissent rencontrer, en mars, des membres du Parlement. Parmi les principales demandes, il y aura le régime national d’assurance-médicaments et autres programmes en santé compris dans l’entente entre le Parti libéral et le NPD, et on s’opposera vigoureusement à la privatisation des soins de santé publics.