Le Québec s’apprête à répéter l’expérience ratée de chirurgie privée de l’Ouest canadien
En mars dernier, le gouvernement du Québec a déposé le projet de loi 15, qui devrait devenir une loi et réformer considérablement le système de santé en favorisant notamment une participation beaucoup plus importante des organismes à but lucratif.
Bien que les chirurgies financées par l’État et administrées par le secteur privé ne soient pas quelque chose de nouveau au Québec, la façon dont le projet de loi 15 crée un cadre juridique pour ce qui est susceptible de devenir un secteur hospitalier appartenant à part entière à des investisseurs est source d’une nouvelle et sérieuse préoccupation.
En tant qu’économiste politique et chercheur en politiques de la santé de la Colombie-Britannique, je vous écris pour mettre en garde les Québécoises et les Québécois quant aux effets de la privatisation chirurgicale. Le Québec poursuit un plan de privatisation similaire à celui de l’Ouest canadien qui, en Alberta, n’a pas réussi à offrir plus de chirurgies et un meilleur accès.
En 2020, le gouvernement albertain mettait en branle l’« Alberta Surgical Initiative », qui comprenait une nouvelle législation et prévoyait d’octroyer des contrats à des établissements chirurgicaux à but lucratif. Le gouvernement y voyait une manière de réduire les temps d’attente et d’augmenter l’accès pour les patients. Or, ma récente évaluation de cette initiative montre que c’est le contraire qui s’est produit.
Les volumes totaux de chirurgies dans la province ont diminué depuis le début de cette initiative à des niveaux inférieurs à ceux de 2014. Moins de chirurgies ont été pratiquées en 2021 qu’en 2018 — c’est-à-dire avant la pandémie et avant le début de l’initiative.
Les volumes totaux des interventions chirurgicales ont diminué de 6 % entre 2018 et 2021, alors que les effectifs des hôpitaux publics allaient rejoindre en grand nombre les établissements à but lucratif. Pendant ce temps, ces installations privées se concentraient à accroître les volumes des interventions les plus rentables, laissant le travail plus complexe pour le système public sous pression.
En clair, l’expansion de la prestation chirurgicale à but lucratif s’est faite au détriment du personnel et des ressources des hôpitaux, qui ont diminué par habitant.
En clair, le gouvernement de l’Alberta — comme celui du Québec — a présenté une loi qui, en soutenant la croissance de l’ industrie hospitalière et en offrant des garanties aux investisseurs, risque de consolider les chaînes d’entreprises œuvrant dans le secteur des soins. Déjà présentes en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et au Québec, celles-ci puiseront dans le même bassin limité de professionnels de la santé déjà en pénurie.
Les données probantes canadiennes et internationales indiquent en effet que les établissements à but lucratif aggravent les pénuries de personnel dans les hôpitaux publics avec pour conséquence qu’ils déstabilisent ces établissements et allonge le temps d’attente. Le Québec n’a qu’à se pencher sur sa propre expérience de la façon dont les agences de placement privées ont pompé la main-d’œuvre du secteur public, forçant le gouvernement à abandonner progressivement ces agences. Un système privé parallèle de prestation chirurgicale a le même effet, et cela va probablement empirer en vertu du projet de loi 15.
Le gouvernement de l’Alberta s’est tellement entêté à investir dans son initiative peu performante qu’il ne semble pas disposé à corriger le cap et à adopter des solutions sensées. Il pourrait notamment tirer pleinement parti des près de 30 % des salles d’opération inutilisées dans les hôpitaux publics, adopter des modèles à entrée unique et des listes d’attente centralisées, et augmenter les heures d’opération dans les hôpitaux publics en difficulté en augmentant le personnel qui y travaillent.
L’expansion des chirurgies administrées par le secteur privé survient également au moment où de nouvelles données du Québec montrent des coûts plus élevés de la prestation à but lucratif — jusqu’à 2,5 fois plus cher que les hôpitaux publics. En Colombie-Britannique, la facturation illégale des patients est un problème omniprésent et permanent dans les établissements à but lucratif.
Le gouvernement du Québec devrait tirer des leçons de l’expérience de l’Ouest canadien et mettre au rebut le projet de loi 15. Les solutions fondées sur des données probantes pour réduire les temps d’attente et accroître la capacité chirurgicale ne sont pas nouvelles, mais exigent une volonté politique de la part du gouvernement.
Malheureusement, le gouvernement du Québec s’apprête à suivre l’expérience ratée de l’ouest du Canada en matière de prestations chirurgicales à but lucratif.
Ce commentaire a été publié pour la première fois par Le Devoir le 26 octobre 2023.