L’assurance médicaments universelle et à payeur unique, telle que proposée par Hoskins, c’est le temps
Alors que le dépôt d’un projet de loi sur l’assurance médicaments à la Chambre des communes appert imminent, l’Union des consommateurs (UC) et la Coalition Solidarité Santé (CSS) pressent le gouvernement fédéral de respecter l’une des promesses centrales de son entente de soutien avec le NPD et d’ainsi mettre en place un véritable régime d’assurance médicaments public et universel.
Dans un communiqué, les deux organismes ont déclaré « l’UC et la CSS considèrent qu’Ottawa commettrait une erreur en favorisant la reproduction du modèle hybride québécois dans les autres provinces. Bien que ce modèle ait l’objectif louable d’assurer la couverture de toutes les personnes adultes, il n’en demeure pas moins que la dichotomie entre le régime public et les régimes privés a favorisé l’apparition d’une couverture inéquitable, coûteuse et inefficace au Québec. »
Marc-André Gagnon, professeur de politique publique à l’Université Carleton, se dit en colère au sujet de l’assurance médicaments. M. Gagnon s’est adressé aux médias lors d’une conférence de presse à la tribune de presse à Ottawa aux côtés de l’ex-ministre de la Santé, la Dre Jane Philpott, le jeudi 21 septembre 2023.
Dans les quinze dernières années, le professeur Gagnon a publié plus d’une centaine d’articles, chapitres ou rapports sur les enjeux de politiques pharmaceutiques.
De l’à-plat-ventrisme des instances publiques
« Je suis consterné de l’à-plat-ventrisme de nos gouvernements devant le pouvoir des pharmaceutiques et des lobbies commerciaux au détriment de la population canadienne », dit le professeur Gagnon. « Les données probantes sont claires : un régime public universel d’assurance médicaments, comme recommandé par le rapport Hoskins, rapport dont le gouvernement Trudeau s’était engagé à suivre les recommandations, permettrait non seulement d’offrir un meilleur accès aux médicaments pour tous les Canadiens et Canadiennes, mais permettrait aussi de réduire les coûts d’environ 20 %. »
« Seule la mise en place d’un régime public et réellement universel d’assurance médicaments permettra d’assurer à toutes et à tous un accès aux médicaments requis par leur état de santé », selon Lise Goulet de la Coalition Solidarité Santé « Le modèle québécois démontre qu’une couverture d’assurance universelle, mais fragmentée, pour laquelle il est difficile de contrôler les coûts, réduit ultimement l’accès à ces médicaments. Si le gouvernement fédéral est vraiment cohérent, il ne fera pas l’erreur de la demi-mesure. »
Selon Geneviève Morand, directrice par intérim à l’Union des consommateurs : « Nous voyons de nombreux Québécoises et Québécois qui doivent faire des choix déchirants entre payer des médicaments ou répondre à d’autres besoins de base. C’est pourquoi nous demandons depuis des années la mise en place d’un régime d’assurance médicaments véritablement public et universel où le coût total de tous les médicaments prescrits par un professionnel de la santé et les frais d’ordonnance connexes seront couverts. Si le gouvernement du Canada fait le choix d’une approche basée sur le modèle québécois, il reproduira les inégalités et le système à deux vitesses que nous dénonçons. Il s’agirait selon nous d’une opportunité manquée. »
En retard
Le professeur Gagnon, ainsi que les membres de la Coalition Solidarité Santé, dont l’Union des consommateurs, se désolent des trois années de retard de la mise en place des recommandations du rapport Hoskins.
La rumeur veut que le gouvernement fédéral n’aille pas de l’avant avec un régime public universel, mais offrirait simplement une aide supplémentaire à certaines personnes sans couverture, tout en maintenant le système hybride public-privé actuel qui, à l’échelle mondiale, est devenu un modèle d’inefficacité et de gaspillage.
Le système actuel est morcelé, inéquitable et inefficace
« Le problème est que la couverture des médicaments au Canada est un système morcelé; un système inéquitable et inefficace sans cohérence ou objectif d’ensemble », selon le professeur Gagnon. « Certains croient qu’on peut résoudre le problème en ajoutant de nouveaux morceaux, mais le problème de fond est que le système est morcelé. Rappelons que le Canada est le seul pays avec un régime d’assurance maladie public universel qui n’inclut pas les médicaments prescrits, comme si les médicaments prescrits n’étaient pas un service de santé essentiel. »
Au Canada, l’accès aux médicaments est encore pensé en termes de privilèges offerts par les employeurs aux employés, comme le dit le professeur Gagnon. Le coût par habitant en médicaments est le deuxième plus important au monde après les États-Unis, et le Canada reste parmi les pays présentant le plus grand nombre de gens qui ne peuvent accéder aux médicaments dont ils ont besoin pour des raisons financières.
Pourquoi la lenteur de la mise en place d’un meilleur système?
Selon le professeur Gagnon, ce n’est pas juste les lobbies des pharmaceutiques, des compagnies d’assurances et des chaînes de pharmacies, les gouvernements des provinces ont beaucoup d’intérêt à ce que rien ne change. Toujours selon M. Gagnon, la mise en place d’un système de prix opaque avec rabais confidentiels fait que les régimes publics des provinces ne savent pas contenir les coûts, elles les déplacent ailleurs dans le système morcelé.
Un exemple d’abus, selon le professeur Gagnon
Repatha : un médicament qui réduit le taux de cholestérol total dans le sang, le taux de « mauvais » cholestérol (cholestérol LDL)
Les rabais confidentiels seraient de 90 % sur un prix officiel de 504 $/mois (6 048 $/an). Au Québec, la quote-part est de 33 %, soit une franchise de 23 $/mois. En plus des primes de 731 $/an, quelqu’un au Québec qui gagne 49 000 $/an devra payer le maximum de contributions, soit 1 196 $/an pour obtenir le Repatha, alors que le prix réel n’en coûte que 605 $. Ce n’est pas de l’assurance, c’est de l’arnaque.
Une arnaque, selon le professeur Gagnon
Les régimes privés devront quant à eux payer le même médicament non pas au prix négocié par le gouvernement de 605 $/an, mais au plein prix de 6 046 $/an, sans obtenir de rabais confidentiels. Le système actuel est devenu un système opaque d’arnaque institutionnalisée, et c’est inacceptable. Il nous faut un régime public universel efficace, capable de contenir les coûts pour la population canadienne, et non pas seulement un système qui pellette les coûts ailleurs dans le système, soit sur les épaules des malades et des travailleurs/travailleuses.
Selon la Coalition Solidarité Santé et l’Union des consommateurs, il nous faut un régime public universel doté des capacités institutionnelles nécessaires pour s’assurer qu’on puisse en avoir pour notre argent et pour promouvoir des habitudes de prescription basées sur les données probantes (et non pas sur les campagnes de marketing des firmes).
Deux faux arguments selon M. Marc-André Gagnon, politologue à l’Université Carleton
Taxes (vs revenu disponible).
Quand on dit que l’on veut réduire les taxes, l’objectif est en fait d’augmenter le revenu disponible des ménages, c’est exactement ce que ferait un régime public de médicaments universel.
Perte d’accès à certains médicaments avec un régime public, car les régimes privés sont plus généreux.
C’est faux, le rapport Hoskins n’empêche pas de supplémenter la couverture publique. En fait, les employeurs verraient les coûts de leurs avantages sociaux en santé diminuer, ce qui pourrait permettre de dégager plus de fonds pour étendre ces avantages sociaux (ou augmenter les salaires, ou encore augmenter les profits des entreprises).
À propos
L’Union des consommateurs est un organisme à but non lucratif qui regroupe 14 groupes de défense des droits des consommateurs. La mission de l’Union des consommateurs est de promouvoir et de défendre les droits des consommateurs, en prenant en compte de façon particulière les intérêts des ménages à revenu modeste.
La Coalition Solidarité Santé est un regroupement québécois d’organisations syndicales, communautaires et de comités de citoyennes et citoyens. La défense des grands principes qui constituent les pierres angulaires du réseau de santé depuis sa mise sur pied, à savoir le caractère public, la gratuité, l’accessibilité, l’universalité et l’intégralité, sont à la base de toutes les interventions de la Coalition Solidarité Santé.
(Photo : Dre Jane Philpott, ex Ministre de la santé. fédéral, Doyenne de la faculté des sciences de la santé à l’Université Queen’s; Anne Lagacé Dowson et Steve Staples de la Coalition canadienne de la santé; et le Professeur Marc-André Gagnon de l’université Carleton)