La tournée de promotion de la privatisation de l’Association médicale canadienne
Pendant plusieurs semaines, au cours des derniers jours de l’été 2023, le Globe and Mail a fait la promotion d’une série d’assemblées publiques nationales intitulée « Les soins de santé publics-privés : Pouvons-nous trouver le bon équilibre ? »
De coûteuses annonces pleine page ont été publiées au dos de la première section de l’édition imprimée du Globe, avec un logo représentant la médecine publique et privée au Canada.
Le débat sur « l’équilibre » dissimule le véritable programme des « assemblées publiques » de l’AMC
Les réunions publiques sont annoncées comme une conversation portant sur « l’équilibre entre les soins de santé publics et privés, » mais il se passe quelque chose d’autre.
La première réunion a eu lieu au centre-ville de Toronto et a réuni des conférenciers et des groupes de praticiens et de prestataires de soins privés. Environ 200 personnes y ont assisté en personne et quelques centaines d’autres en ligne.
La Coalition canadienne de la santé à l’assemblée générale de l’AMC
Steve Staples, coordinateur des politiques de la Coalition canadienne de la santé, était présent et a déclaré ce qui suit à propos de ce qu’il a vu et entendu :
« La discussion a été conçue pour transmettre un message aux médecins : la crise de l’accès aux soins de santé offre une opportunité politique d’accroître la prestation privée, à but lucratif, des services de santé. Les thèmes, les journalistes, les panélistes et même les questions posées aux conférenciers invités ont veillé à ne jamais saper ce message central.
Il n’y a eu aucune discussion sur les défauts des soins à but lucratif, sur les dépenses supplémentaires, sur l’épuisement des prestataires du système public, sur le risque pour les patients d’être confrontés à des surfacturations et à des frais d’utilisation de la part des propriétaires de cliniques motivés par l’appât du gain. »
Lors d’un moment révélateur, alors qu’il animait une table ronde, André Picard, rédacteur et chroniqueur au Globe and Mail, a fait remarquer qu’il y avait des histoires de bons et de mauvais résultats dans le système public, ainsi que “de bons et… [pause]… dans le système privé”. Pensant probablement au message qu’il était payé pour transmettre à l’assistance, qui était favorable aux soins privés, il s’est empêché de terminer sa propre phrase, qui aurait été : « … de mauvaises histoires dans le système privé. »
Le message des « assemblées publiques » de l’AMC est que la crise de l’accès aux soins de santé offre aux médecins une opportunité politique d’accroître la prestation privée et à but lucratif des services de santé.
Médecins canadiens pour le régime public se dissocie de l’AMC et défend un système de santé universel à payeur unique.
La Dre Melanie Bechard, membre de l’Association médicale canadienne et présidente de l’association Médecins canadiens pour le régime public, était également présente. Une lettre adressée à l’AMC et signée par plus de 400 praticiens et étudiants en médecine, dont la Dre Bechard et le Dr Bernard Ho, vice-président de Médecins canadiens pour le régime public, a fait part des inquiétudes concernant les « assemblées publiques, » soulignant qu’il est important de faire la différence entre le financement privé et la prestation privée.
Après avoir assisté à l’événement de Toronto, la Dre Bechard a déclaré : « Les assemblées publiques organisées par le Globe and Mail et l’Association médicale canadienne ont été une occasion manquée de discuter de vraies solutions pour le système de santé. Au lieu de cela, elles se sont transformées en séances de propagande en faveur du financement privé. »
« Les soins de santé privés sont dispensés dans des établissements qui n’appartiennent pas à l’État. Cela inclut les établissements privés à but non lucratif et les établissements privés à but lucratif appartenant à des investisseurs. C’est là que la majorité des soins ambulatoires sont dispensés au Canada », indique la lettre signée par la Dre Bechard et le Dr Ho, vice-président de Médecins canadiens pour le régime public, et adressée à l’AMC.
« Les soins de santé financés par le secteur privé sont payés par une assurance complémentaire privée ou par les patients eux-mêmes. L’assurance privée duplicative n’est pas autorisée au Canada.
Le fait de confondre ces termes avec la “privatisation”, que ce soit délibéré ou non, a des conséquences importantes sur les résultats des consultations de l’AMC. »
La défaite des privatiseurs devant les tribunaux dans l’affaire Cambie est à l’origine des « assemblées publiques » de l’AMC
Les observateurs suggèrent que la raison de cette série d’assemblées publiques est le désir des partisans des soins de santé privés à but lucratif de revenir sur la défaite retentissante de l’affaire Cambie, menée par le Dr Brian Day de la Cambie Surgeries Corporation de Vancouver (C.-B.).
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l’introduction de services de santé privés faisant double emploi avec les services de santé publics aurait « un impact négatif direct sur l’accès équitable aux services médicaux nécessaires » et « créerait un deuxième niveau de soins de santé préférentiels dont l’accès dépendrait de la capacité d’une personne à payer. » La Cour a examiné les principaux éléments de preuve et entendu les témoignages d’experts en politique de santé du monde entier. Les spécialistes internationaux considèrent que l’affaire Cambie a des implications mondiales. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et, en avril 2023, la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre l’appel.
Un examen impartial des éléments de preuve a tranché en faveur des soins de santé financés par l’État, à maintes reprises.
Selon l’historien économique, Gregory Marchildon, de l’Université de la Saskatchewan, il y a eu huit grèves de médecins à l’apogée des efforts de réforme de l’assurance-maladie dans les années 1960 et 1970 au Canada. Toujours au Canada, une grève de vingt-trois jours en 1962 a contraint le gouvernement à faire des compromis majeurs, accordant aux médecins la possibilité de travailler en dehors du régime public d’assurance-maladie, et consacrant un modèle de rémunération à l’acte, indépendant et contractuel, pour les soins primaires et spécialisés.
Un article comparant les âpres grèves de médecins en Belgique et au Canada, co-écrit par Marchildon et Klaartje Schrijvers, conclut que « … l’Association médicale canadienne et ses sections provinciales ont réussi à consolider leurs acquis et à empêcher les gouvernements suivants de lancer de nouvelles réformes, en partie à cause de la crainte d’une nouvelle grève des médecins. »
Monique Bégin s’attaque à l’AMC dans les années 1980
Le système universel de soins de santé du Canada commence à s’effilocher dans les années 1980 avec les réductions de financement. Les médecins commencent à surfacturer leurs services rendus aux patients et les provinces imposent des frais d’utilisation.
Madame Bégin, alors ministre de la Santé et fille de réfugiés, décédée le 8 septembre 2023 à l’âge de 87 ans, décide d’agir et propose une loi énonçant cinq principes de soins de santé universels. La loi menaçait également d’imposer des sanctions financières aux provinces qui ne respecteraient pas ces cinq principes.
La Loi canadienne sur la santé est la législation fédérale du Canada en matière d’assurance-maladie. Elle définit les principes nationaux qui régissent le système canadien d’assurance-maladie : administration publique, intégralité, universalité, transférabilité et accessibilité.
Dans la notice nécrologique de Mme Bégin publiée par le Globe, l’écrivain Alan Freeman indique que la dispute a mal tourné. Everett Coffin, alors président de l’Association médicale canadienne, qualifie la Loi canadienne sur la santé de « viol de l’esprit, voire des dispositions légales de la Constitution canadienne. »
Dans ses mémoires, Mme Bégin rappelle que les ministres provinciaux de la santé, opposés à la mesure, se sont ligués contre elle lors d’une réunion fédérale-provinciale et l’ont attaquée en utilisant des « mots vulgaires. »
Soit l’assurance-maladie universelle, soit la privatisation
« Votre philosophie, c’est soit l’assurance-maladie universelle, soit la privatisation, » a déclaré Mme Bégin lors d’une entrevue radiophonique à l’époque. « Ma philosophie est l’universalité et vous ne négociez pas la philosophie. »
Finalement, la loi est adoptée à l’unanimité aux Communes en 1984, juste avant les élections qui ont vu les libéraux chassés du pouvoir et Mme Bégin quitter la vie politique. « On m’a appelée la sauveuse de l’assurance-maladie », se souviendra-t-elle plus tard. « Mais je n’ai fait que mon travail. »
Trois autres « assemblées publiques » sont prévues par l’Association médicale canadienne, coparrainées par le Globe and Mail, avec la participation de journalistes du Globe spécialisés dans la santé et animés par André Picard. La prochaine aura lieu à Montréal le 23 octobre, suivie d’une troisième à Vancouver le 23 novembre et d’une dernière à Halifax le 25 janvier 2024.