En souvenir de la lutte de Nell Toussaint, immigrante, en faveur de l’assurance maladie pour tous, quel que soit le statut d’immigration
Ce commentaire a été publié par la COOP Média NB pour marquer le premier anniversaire de la mort de Nell Toussaint, le 9 janvier. Traduction faite par Anne Lagacé Dowson.
Il y a de fortes chances que vous ayez une carte d’assurance-maladie.
Mais imaginez durant un instant que vous n’en ayez pas.
Imaginez que vous vous rendiez aux urgences. On vous dit que si vous ne pouvez pas présenter de preuve d’assurance, vous devez payer. Vous ne pouvez pas payer. Votre état s’aggrave. Vous avez maintenant des maladies préexistantes qui rendent encore plus difficile la recherche d’une assurance.
Pour les travailleurs migrants au Canada, il ne s’agit pas d’une expérience imaginaire. C’est la vie.
Pour Nell Toussaint, c’était la mort. Il y a un an, aujourd’hui.
Née à la Grenade, Nell a grandi à Trinidad. Elle a déménagé au Canada dans sa vingtaine et a travaillé comme femme de ménage, gardienne d’enfants et ouvrière d’usine. Mais le système d’immigration canadien est froid et complexe. Au fil du temps, elle a perdu son statut d’immigrée, et est devenue une immigrante en situation irrégulière, c’est-à-dire une personne qui, pour une raison ou une autre, n’a plus le statut d’immigrée.
Au Canada, les migrants en situation irrégulière n’ont pas accès aux soins de santé publics.
Lorsqu’elle est tombée malade, on lui a refusé l’accès aux soins de santé. Au fur et à mesure que son état s’aggravait, le préjudice causé par ce manque d’accès qu’elle a subi est devenu irréparable. Pourtant, ni sa province ni le gouvernement fédéral n’ont voulu l’assurer.
N’étant pas du genre à abandonner, Nell Toussaint a eu recours au système légal du Canada en faisant valoir que le fait de refuser aux migrants en situation irrégulière l’accès aux soins de santé constituait une violation de la Charte canadienne des droits et libertés.
Elle a porté son combat jusqu’aux Nations unies. Un comité des Nations unies a jugé que le Canada avait violé son droit à la vie, et a demandé au Canada d’accorder des soins de santé à tous les immigrants en situation irrégulière.
Le Canada a tout simplement refusé.
Certains affirment que le Canada a raison. Ils affirment qu’il serait trop coûteux de fournir des soins de santé à tous, quel que soit leur statut d’immigration.
Mais le fait de garantir à chacun l’accès aux soins de santé lorsqu’il en a besoin permet de réduire les coûts pour le système à long terme en évitant les visites aux urgences et les interventions chirurgicales qui auraient pu être évitées. Cela réduit également les risques pour la santé publique si chacun peut accéder aux soins de santé lorsqu’il en a besoin.
La pandémie de la COVID-19 a poussé l’Ontario à couvrir les soins de santé de tous, reconnaissant que la couverture universelle des soins de santé est une bonne politique de santé publique. Les données montrent que les soins de santé pour les personnes non assurées dans cette province ont coûté 6,8 millions de dollars en 2020-2021. Malheureusement, l’Ontario a mis fin à cette couverture en mars 2023.
Cela coûterait sans aucun doute beaucoup moins cher au Nouveau-Brunswick. Au lieu de cela, le Nouveau-Brunswick a accordé aux usines de pâtes et papiers extrêmement rentables plus de 100 millions de dollars de subventions dans le cadre d’un programme de rachat de l’énergie par Énergie NB sur une période de dix ans.
D’autres affirment que limiter l’accès aux soins de santé en fonction du statut d’immigrant dissuaderait ceux qui voudraient venir au Canada pour profiter du système de soins de santé.
En fait, le Canada a présenté cet argument au tribunal, affirmant que Nell Toussaint cherchait simplement à exploiter le généreux système public de soins de santé du Canada. Nous sommes d’accord avec le juge qui a répondu clairement qu’il s’agissait d’un « argument implicite qui pue le stéréotype préjudiciable selon lequel les immigrants viennent au Canada pour profiter du système d’aide sociale ».
Nell a fini par obtenir le statut de résidente permanente pour des raisons humanitaires, ce qui lui a permis d’accéder enfin aux soins de santé. Mais il était trop tard. Le mal était déjà fait. Elle a été amputée d’une jambe, est devenue aveugle, a subi des lésions cérébrales et une insuffisance rénale. Son décès à l’âge de 54 ans, le 9 janvier 2023, aurait pu être évité.
Lorsque nous avons reçu cette année un appel semblable à celui de Nell Toussaint d’un travailleur migrant de la péninsule acadienne qui avait besoin de consulter un médecin sans assurance-maladie, nous avons eu le cœur serré.
Le Nouveau-Brunswick ne fournit généralement pas de soins de santé aux travailleurs migrants. Les travailleurs migrants qui ne peuvent pas bénéficier de l’assurance-maladie publique doivent compter sur leur employeur pour obtenir une assurance-maladie privée.
Cela signifie qu’ils sont vulnérables à l’une des nombreuses failles critiques des soins de santé privatisés — perdre son emploi est synonyme de perdre ses soins de santé.
Pour les travailleurs migrants, dont le statut d’immigration est lié à leur employeur, la perte de leur emploi ne signifie pas seulement la perte de leur assurance-maladie privée, souvent médiocre. Cela peut également signifier qu’ils perdront la possibilité de rester au Canada. Si les travailleurs restent malgré tout, ils risquent de devenir des migrants en situation irrégulière.
Refuser à des membres de notre communauté, parce que les immigrants font partie de notre communauté, l’accès aux soins de santé publics simplement en raison de leur statut d’immigrant n’est pas conforme à l’esprit de la Loi canadienne sur la santé, qui prône l’universalité. Ce n’est pas dans l’esprit du droit international. Et ce n’est pas non plus dans l’esprit de ce que signifie construire une province véritablement accueillante.
Nell s’est battue pour que personne d’autre n’ait à le faire. Elle est morte, mais personne d’autre ne devrait avoir à mourir.
Tirons des leçons de l’histoire pour éviter de la répéter.
Aditya Rao et Tracy Glynn sont des membres fondateurs du Madhu Verma Migrant Justice Centre. Le Madhu Centre apporte son soutien aux travailleurs migrants et aux personnes en situation d’immigration précaire. Aditya est également conseiller principal des droits de la personne au SCFP. Tracy Glynn est également directrice des opérations et des projets de la Coalition canadienne de la santé.