Dire au revoir à Nell Toussaint — héroïne des soins de santé pour les migrants sans papier au Canada
Bien que pas encore très connue au Canada, toute personne prêtant attention à l’accès inadéquat aux soins de santé pour les personnes ayant un statut précaire d’immigrant au Canada connaît Nell Toussaint.
Souffrant d’insuffisance cardiaque, Toussaint est décédée dans un hôpital de Toronto le 9 janvier après avoir subi, en novembre dernier, un arrêt cardiaque suivi d’un coma.
Andrew Dekany, son avocat, a dit au quotidien The Star : « Je la considère comme un modèle de rôle, comme une personne très courageuse et inébranlable, et comme une inspiration pour moi et pour les autres. »
« Madame Toussaint a porté l’injustice dans ses os toute sa vie mais a refusé de laisser cela la définir ou la réduire au silence », souligne Ketty Nivyabandi, secrétaire générale d’Amnistie internationale Canada.
La lutte de Toussaint pour l’accès aux soins de santé a donné vie au slogan « Soins de santé retardés, soins de santé refusés. »
Selon ses défenseurs, Toussaint a perdu la vision, une jambe et ses reins parce qu’elle n’a pas été en mesure d’avoir accès, en temps opportun, aux traitements pour son diabète. Elle a fait un AVC et est tombée dans le coma plus d’une fois puis, à 54 ans, son cœur a cessé de battre.
Pendant que Toussaint luttait pour avoir accès aux soins de santé, et composait avec des agences de recouvrement voulant paiement pour les factures d’hôpitaux qu’elle ne pouvait payer, elle a frayé un chemin pour l’accès aux soins de santé pour tous les sans papier au Canada.
Après des démarches infructueuses auprès du système de justice du Canada, Toussaint se tourne vers le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, devant lequel elle argue que le Canada a violé son droit à la vie et son droit à la non-discrimination en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
En 2018, le Comité des Nations Unies se range du côté de Toussaint et formule une décision créant un précédent qui met de l’avant la protection égale pour les migrants et l’accès aux soins de santé essentiels en vertu de la loi internationale. Le Comité mentionne que le Canada est dans l’obligation d’offrir une compensation adéquate à Toussaint, et qu’il doit prendre des mesures pour mettre fin à des violations similaires dans l’avenir.
Lorsque le Canada n’a pas respecté la directive des Nations Unies en 2020, Toussaint s’est adressée aux tribunaux en Ontario, demandant 1,2 millions $ en dédommagement ainsi que l’accès aux soins de santé essentiels pour les migrants irréguliers. The Coalition canadienne de la santé s’est jointe à la coalition d’intervenants en appui à la demande fondée sur la Charte de Toussaint.
L’été dernier seulement, un juge de l’Ontario a rejeté la demande du gouvernement fédéral d’annuler la demande de Toussaint, dénonçant les avocats du gouvernement qui utilisent des tropes racistes pour parler des migrants. La décision par rapport à l’appel du gouvernement est en instance.
Toussaint ne verra pas la conclusion de sa poursuite mais ses avocats sont déterminés à ne pas abandonner la cause.
Bruce Porter, directeur du Social Rights Advocacy Centre au sein du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, a dit, en hommage à son amie : « Nell Toussaint, la mort t’a peut-être pris la vie, mais elle ne te prendra jamais ton travail, ta vision et tes accomplissements. Ton héritage survivra en raison de la façon dont tu t’es battue, avec courage et ténacité, pour les droits de la personne. Puisses-tu reposer au sein du pouvoir éternel. »
Née à Grenade, Toussaint a grandi à Trinidad et Tobago où elle a été élevée par son oncle. En 1999, alors qu’elle avait environ 30 ans, elle est venu en visite au Canada et est restée. Elle a fait le ménage dans des maisons, pris soin d’enfants et travailler dans une usine. Elle a fait l’objet de pratiques sans scrupules de la part d’employeurs qui ont tiré avantage de son statut précaire d’immigrante, et n’ont pas tenu leur promesse de l’aider à devenir résidente permanente.
Après des années à essayer de régulariser son statut, elle devient, finalement, en 2013, résidente permanente pour des raisons d’ordre humanitaire. Son statut la rend finalement admissible aux soins de santé publics de l’Ontario mais, à ce moment-là, sa santé est déjà gravement compromise.
Pendant que l’équipe juridique de Toussaint se prépare à déterminer les prochaines étapes pour sa demande fondée sur la Charte, d’autres migrants au statut précaire au Canada brandissent le flambeau pour les soins de santé pour tous.
Une travailleuse migrante jamaïcaine en Nouvelle-Écosse, âgée de 42 ans, et incapable de payer pour ses traitements contre le cancer, fait actuellement la manchette.
L’histoire de Kerian Burnett a été partagée lors du lancement du webinaire de la Coalition canadienne de la santé, portant sur le rapport du Citizens for Public Justice intitulé Work, Study, Pay Taxes, But Don’t Get Sick. Barriers to Health Care Based on Immigration Status, et publié en décembre dernier.
Burnett vient de finir la chimiothérapie pour son cancer du col de l’utérus qui a été diagnostiqué peu de temps après qu’elle a commencé à travailler à la ferme de framboises en Nouvelle-Écosse. Elle dit devoir près de 65 000 $ à la province après que son assurance médicale privée a été annulée. Maintenant, elle est inquiète par rapport à retarder le tomodensitogramme (CT scan) nécessaire pour faire le suivi de son cancer.
« Je suis allée à l’hôpital pour un scan et on me l’a refusé parce que je n’avais pas de carte d’assurance-maladie », a dit Burnett au quotidien Halifax Examiner.
La semaine dernière, Burnett s’est vu accorder le statut de résidente temporaire mais elle ne sait pas comment ni si cela va affecter ses traitements pour le cancer, ni si elle doit toujours 65 000 $ à la province pour sa chimiothérapie.
Les défenseurs de Burnett veulent l’assurance-maladie pour les travailleurs migrants dès leur arrivée.
L’accès au régime public d’assurance-maladie varie d’une province à l’autre et, souvent, exclut les travailleurs étrangers temporaires bénéficiant d’un permis de travail d’une durée inférieure à un an. Au Québec, les travailleurs ont accès aux soins de santé dès leur arrivée. En 2020, le gouvernement de l’Ontario a publié une directive temporaire donnant accès, à tous, aux soins de santé publics qu’importe leur statut, et cela dans le cadre d’une mesure en lien avec la COVID. Les défenseurs des soins de santé pour les migrants veulent que cette directive soit rendue permanente.
Burnett, comme Toussaint avant elle, veut l’accès aux soins de santé pour tous, qu’importe le statut d’immigrant.
Photo principale : De gauche à droite – Bruce Porter, Nell Toussaint et Andrew Dekany célèbrent la décision relative à Toussaint c. Canada, 2022. Photo de Bruce Porter.