Deux bonnes raisons pour s’opposer à verser, sans conditions, de l’argent aux provinces pour les soins de santé
Ce commentaire de Pauline Worsfold, présidente de la Coalition canadienne de la santé, et de Siobhán Vipond, vice-présidente, a paru dans le Toronto Star.
Le gouvernement libéral doit insister pour que les transferts en santé alloués aux provinces soient assortis de conditions
Jusqu’à maintenant, le premier ministre Trudeau tarde à amorcer les pourparlers avec les leaders provinciaux et territoriaux du Canada à la suite de leurs demandes répétées pour obtenir des augmentations substantielles et inconditionnelles des transferts en matière de santé. Les premiers ministres veulent commencer à négocier immédiatement mais le premier ministre Trudeau préfère en finir d’abord avec la pandémie et parler de financement plus tard.
Nos organisations appuient l’amélioration et l’élargissement des soins de santé publics pour toutes les personnes du Canada. Avancer ensemble vers une reprise équitable et résiliente après la pandémie signifie une approche plus réfléchie et collaborative, et qui fait passer les personnes en premier.
À première vue, la demande des premiers ministres semble raisonnable. La pandémie met beaucoup de tension sur les hôpitaux et les travailleurs de la santé, et engendre une crise dans le secteur de la santé.
Toutefois, Justin Trudeau a raison d’éviter ce qui pourrait se révéler être un chèque en blanc remis aux provinces s’il ne peut pas s’assurer que l’argent permettra d’améliorer les soins de santé publics actuels et d’élargir le système public pour y inclure les soins de longue durée tellement nécessaires et le régime national d’assurance-médicaments. C’est pourquoi les demandes des premiers ministres méritent un examen plus minutieux.
La lettre du 23 septembre des premiers ministres établit le critère pour le Transfert canadien en matière de santé, ce financement du fédéral : qu’il soit inconditionnel; qu’il augmente de 22 à 35 pour cent des dépenses totales de santé; et qu’il progresse de cinq (5) pour cent chaque année.
Nous pensons que le premier ministre Trudeau a deux bonnes raisons d’être très prudent par rapport à ces demandes.
Premièrement, l’insistance particulière des premiers ministres pour que le Transfert canadien en matière de santé soit inconditionnel ne fait aucun sens lorsque des améliorations au système et de nouveaux services de santé sont nécessaires pour consolider véritablement les soins de santé publics afin de protéger la population canadienne.
Davantage d’argent ne signifie pas nécessairement davantage de services de santé pour la population. Malheureusement, on n’exige pas que les dollars du Transfert canadien en matière de santé aillent uniquement aux soins de santé. Il n’y a aucun mécanisme de reddition de compte permettant de vérifier comment les provinces dépensent cet argent. Augmenter la contribution du fédéral pour qu’elle passe de 22 à 35 pour cent des dépenses totales de santé coûtera, selon les estimations, 28 milliards $ par année mais les personnes du Canada pourraient ne pas voir un seul dollar allant à des services supplémentaires ou de nouveaux services.
Supposons que le gouvernement fédéral augmente le pourcentage de sa contribution aux dépenses de santé des provinces. Dans ce cas, les provinces sont libres de réduire leurs dépenses d’un pourcentage correspondant.
Une fois le chèque du fédéral encaissé, certains premiers ministres pourraient dépenser l’argent comme ils le désirent, y compris pour réduire les impôts. Par exemple, en 2007 avant les élections, le gouvernement libéral au Québec a utilisé une majoration fédérale de 700 millions $ des paiements de péréquation pour financer un allégement fiscal pour la classe moyenne.
Deuxièmement, les premiers ministres doivent révéler leur façon de calculer pour arriver à une augmentation de cinq pour cent de l’indexation car c’est une hausse importante par rapport aux chiffres annuels actuels.
Selon une étude menée en 2016 par l’Institut canadien d’information sur la santé, les provinces ont augmenté leurs dépenses de santé de seulement 2,7 pour cent par année entre 2011 et 2015 pendant qu’elles empochaient une indexation de six pour cent par le gouvernement Harper. Le gouvernement Trudeau a rajusté l’indexation pour qu’elle corresponde à la moyenne mobile de trois ans du PIB nominal, mais en versant jamais moins que trois pour cent par année.
Si le premier ministre Trudeau accorde, maintenant, les milliards demandés par les premiers ministres sans qu’il y ait de conditions, il pourrait rester peu d’argent pour financer les nouveaux programmes de santé plus tard.
Les libéraux ont pris quelques gros engagements par rapport aux soins de santé pendant l’élection. Ils ont promis d’embaucher 7 500 infirmières et médecins de famille, d’augmenter les salaires, former 50 000 nouveaux préposes aux bénéficiaires, augmenter de 9 milliards $ le financement des soins de longue durée, mettre en application des normes nationales grâce à une loi sur la sécurité des soins de longue durée, et freiner la hausse du coût des médicaments.
Plutôt que se presser à négocier cet automne, comme l’ont demandé les premiers ministres, M. Trudeau devrait présenter ses propres propositions, en commençant par son régime national d’assurance-médicaments promis depuis longtemps, accompagné potentiellement de toute augmentation du Transfert canadien en matière de santé. Un régime public d’assurance-médicaments à payeur unique reçoit l’appui de 86 % des personnes au Canada selon l’Institut Angus Reid, reçoit aussi l’appui du NPD, et représenterait des économies se chiffrant en milliards de dollars pour les employeurs, les familles et, plus particulièrement, les provinces.
Pauline Worsfold, IA, est présidente de la Coalition canadienne de la santé et Siobhán Vipond est vice-présidente exécutive du Congrès du travail du Canada.