Comment sauver la Loi canadienne sur la santé ?
À l’occasion du 40e anniversaire de la Loi canadienne sur la santé, des chercheurs ont réexaminé la législation et suggéré des moyens de rendre les soins de santé plus universels, plus accessibles et plus complets.
Lors de la table ronde de recherche sur la Loi canadienne sur la santé à 40 ans, qui s’est tenue le 20 juin dernier à l’Université d’Ottawa, les panélistes Y.Y. Chen, Martha Paynter et Marie Carpentier ont discuté de la manière de remédier à certaines des lacunes de la Loi canadienne sur la santé.
La table ronde peut être visionnée ici —
Y.Y. Chen est professeur associé à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, dans la section Common Law. Il est spécialiste du droit des migrants à la santé, des déterminants sociaux de la santé, du contrôle des maladies infectieuses aux frontières et du tourisme médical.
Chen s’est prononcé contre les périodes d’attente prévues par la Loi canadienne sur la santé, en particulier pour les Canadiens qui reviennent d’un séjour prolongé à l’étranger et pour les nouveaux arrivants qui s’installent au Canada.
« Ces périodes d’attente menacent leur santé et leur bien-être et servent un objectif législatif qui, à mon avis, est quelque peu douteux », a déclaré Chen.
Chen a expliqué que les critères de transférabilité de la Loi canadienne sur la santé autorisent les programmes d’assurance maladie provinciaux et territoriaux à mettre en place une période d’attente, à condition qu’elle ne dépasse pas trois mois. Cette autorisation est renforcée par un autre article de la Loi canadienne sur la santé qui définit les personnes assurées comme excluant les résidents qui n’ont pas respecté la période d’attente.
Selon Chen, certaines provinces et certains territoires n’imposent aucune période d’attente aux nouveaux résidents venant de l’étranger, tandis que d’autres imposent une période d’attente à certains groupes de résidents de retour au pays et aux nouveaux arrivants.
« Pour atténuer les inconvénients réels ou potentiels de la période d’attente de trois mois et les éventuelles violations des droits de la personne, les nombreux territoires et de nombreuses provinces qui imposent une telle période d’attente encouragent activement les nouveaux résidents à souscrire à une assurance maladie privée », a déclaré Chen, soulignant les problèmes d’équité liés au fait que les compagnies d’assurance maladie privées ne couvrent pas les problèmes de santé préexistants, y compris la grossesse et d’autres soins de santé reproductive.
Les périodes d’attente sont parfois justifiées comme étant un moyen de lutter contre ce que l’on appelle le tourisme de santé. Le tourisme de santé se produit lorsque des personnes viennent au Canada pour profiter du système de santé canadien. Pour M. Chen, il n’existe aucune preuve concrète que le tourisme de santé est un problème significatif et important au Canada.
Martha Paynter est directrice de la recherche en soins infirmiers au sein de l’équipe de recherche sur la contraception et l’avortement de l’Université de Colombie-Britannique, et professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières de l’Université du Nouveau-Brunswick. Elle est l’autrice de Abortion to Abolition : Reproductive Health and Justice in Canada (Fernwood).
Paynter a décrit les progrès réalisés en matière de soins liés à l’avortement au Canada au cours des dix dernières années, tout en rappelant qu’en 1988, le Canada était le seul pays au monde à avoir complètement décriminalisé l’avortement.
Paynter a décrit les progrès réalisés en matière de soins liés à l’avortement au Canada au cours des dix dernières années, tout en rappelant qu’en 1988, le Canada était le seul pays au monde à avoir complètement décriminalisé l’avortement. Elle a décrit la façon dont les soins liés à l’avortement, autrefois réservés aux médecins, sont aujourd’hui plus accessibles grâce à l’introduction des avortements médicamenteux. Davantage de professionnels de la santé, tels que les infirmières praticiennes, sont désormais en mesure de fournir des services d’avortement.
« En commençant par le Nouveau-Brunswick, nous avons bénéficié d’un financement public pour la mifépristone. Il s’agit d’une pilule que l’on prend chez soi et qui est payée par le réseau public. Vous présentez votre carte d’assurance maladie à votre pharmacie et vous rentrez chez vous avec le médicament », a déclaré Paynter.
Paynter a fait remarquer que la mifépristone n’enlève rien à la rare nécessité des avortements tardifs, et l’importance de former les professionnels de la santé à ce type d’intervention.
« Il existe un risque de déqualification, ou de perte d’expertise, en cas d’expansion massive de la mifépristone et de l’avortement médicamenteux. Il y a beaucoup moins de gens qui pratiquent l’avortement médical, dont vous aurez toujours besoin, et si vous ne faites pas assez souvent quelque chose, vous ne serez plus compétent pour pratiquer l’intervention. Nous avons vu dans des pays comme l’Écosse et la Suède, où l’avortement par médicament est de 95 à 99 pour cent, qu’ils ne sont tout simplement plus en mesure d’offrir ces soins », a déclaré Paynter.
Bien qu’elle ait souligné les victoires en matière de santé reproductive, comme la contraception universelle en Colombie-Britannique, elle a fait remarquer que « nous avons également connu une austérité croissante et que, dès lors, qu’importe si vous disposiez de médicaments pour faire votre fausse couche à la maison, si vous n’avez pas de maison? Nous devons vraiment penser à la vie socio-économique de la patiente dans son sens large lorsque nous réfléchissons aux violations de la Loi canadienne sur la santé dans ce domaine de soins, et repenser vraiment à partir du cadre de justice reproductive ».
Paynter définit la justice reproductive comme un mouvement et une philosophie issue du féminisme noir américain. « C’est un terme qui a été inventé dans les années 1990, mais qui, théoriquement, a toujours existé en termes de pensée féministe noire et qui critique vraiment l’obsession féministe blanche pour l’avortement, en disant que non seulement nous avons besoin du droit de ne pas avoir d’enfant, mais aussi du droit d’avoir un enfant et de l’élever en toute sécurité dans un foyer sûr », a déclaré Mme Paynter qui a également décrit la nécessité d’améliorer les transports publics pour que tout le monde puisse avoir accès aux soins de santé.
Marie Carpentier est chargée de cours dans plusieurs facultés de droit du Québec et a été conseillère juridique à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pendant plus d’une douzaine d’années. Elle travaille actuellement comme avocate à la Direction des affaires juridiques de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et est chercheuse associée à la COMRADES.
Carpentier a expliqué comment le droit international des droits de la personne peut venir à la rescousse de la Loi canadienne sur la santé. Elle a décrit la façon dont un rapporteur spécial des Nations Unies a signalé une hypothèse inexacte selon laquelle les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne ne seraient pas juridiquement contraignantes. Le rapporteur a formulé quelques recommandations pour aider le Canada à respecter ses obligations en matière de droits de la personne et à considérer les soins de santé comme un droit de fondamental.
« Le droit à la santé ne figure nulle part dans nos lois au Canada, mais il est néanmoins garanti par de nombreux traités signés par le Canada », a déclaré Carpentier.
Carpentier a évoqué le cas de Nell Toussaint, une femme qui s’est vue refuser l’accès aux soins de santé en raison de son statut d’immigration irrégulier.
Y.Y. Chen et la Coalition canadienne de la santé participent aux efforts visant à rendre justice à Mme Toussaint, et à poursuivre son combat en faveur des soins de santé pour les migrants en situation irrégulière. Plus tôt cette année, la Coalition canadienne de la santé et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont rendu hommage à Mme Toussaint lors d’une réception multipartite sur la Colline du Parlement. À l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, le SCFP a célébré Mme Toussaint et sa lutte pour des soins de santé universels au moyen d’une affiche qui illustre son esprit combatif.
Née à la Grenade, Mme Toussaint a grandi à Trinidad. Elle est déménagée au Canada dans la vingtaine et a travaillé comme femme de ménage, puéricultrice et ouvrière d’usine. Elle a été exploitée par des consultants en immigration peu scrupuleux qui l’ont empêchée de régulariser son statut d’immigrée.
Au Canada, les migrants en situation irrégulière n’ont pas accès aux soins publics de santé. Ainsi, lorsque Mme Toussaint est tombée malade, on lui a refusé l’accès aux soins de santé. Au fur et à mesure que son état s’aggravait, le préjudice qu’elle a subi est devenu irréparable. Pourtant, ni sa province ni le gouvernement fédéral n’ont voulu l’assurer. N’étant pas du genre à baisser les bras, Nell Toussaint a intenté une action en justice contre le Canada en faisant valoir que le fait de refuser aux migrants en situation irrégulière l’accès aux soins de santé constituait une violation de la Charte canadienne.
Toussaint a porté son combat jusqu’aux Nations unies. Un comité des Nations unies a jugé que le Canada avait violé son droit à la vie et a demandé au Canada d’accorder des soins de santé à tous les migrants en situation irrégulière. Le Canada ayant refusé jusqu’à présent, ses défenseurs et les membres de sa famille poursuivent son combat juridique contre le Canada pour l’obliger à fournir des soins de santé aux migrants en situation irrégulière.
Ceci est le sixième blogue d’une série de blogues hebdomadaires résumant ce qui a été entendu lors de la table ronde de recherche sur la Loi canadienne sur la santé à 40 ans qui s’est tenue à l’Université d’Ottawa le 20 juin 2024. Cette table ronde était organisée par la Coalition canadienne de la santé et le Centre de droit, de politique et d’éthique de la santé de l’Université d’Ottawa, avec le soutien de l’Université St. Thomas à Fredericton.
Le blogue de la semaine prochaine traitera de la table ronde sur les solutions en matière de soins publics de santé avec Fréderique Chabot d’Action Canada, Edward Xie de Médecins canadiens pour le régime public, et Robert Barkwell et Ian Johnson de la Nova Scotia Health Coalition. Les webinaires précédents peuvent être visionnés sur la chaîne YouTube de la Coalition canadienne de la santé.