Comment les grandes compagnies pharmaceutiques utilisent la désinformation pour faire obstacle à la réforme des prix des médicaments : Joel Lexchin
Dans son dernier article publié dans The Conversation, le Dr Joel Lexchin, membre du conseil d’administration de la Coalition canadienne de la santé, dévoile les « mensonges et les demi-vérités » du lobby pharmaceutique autour du besoin urgent de mesures de contrôle du prix des médicaments au Canada.
Comment l’industrie pharmaceutique utilise la désinformation pour faire obstacle à la réforme des prix des médicaments
Par Joel Lexchin
Les prix des médicaments au Canada se classent au quatrième rang des prix les plus élevés parmi les pays développés. Malgré cela, Médicaments novateurs Canada (MNC), groupe de lobbying pour les grandes compagnies pharmaceutiques, a présenté, en novembre 2022, une demande au gouvernement canadien de suspendre les consultations sur les lignes directrices visant à réduire le prix des médicaments prescrits.
Les lignes directrices proposées devaient être mises en vigueur le 1er janvier mais ont été remises à plus tard à la fin décembre.
MNC met en garde en disant que si les nouvelles lignes directrices sont mises en vigueur, cela retarderait le lancement de nouveaux médicaments et « les patients canadiens seraient privés de nouveaux médicaments ayant le potentiel de sauver des vies. »
Quelques jours plus tard, MNC a publié une annonce pleine page dans le Globe and Mail alléguant que « les Canadiens attendent deux fois plus longtemps pour les nouveaux médicaments. »
Mensonges et demi-vérités
MNC prétend, depuis la fin de 2020, que « de nouveaux médicaments ne sont pas lancés au Canada » parce que les prix des médicaments pourraient éventuellement être réduits. Toutefois, entre 2011 et 2020, il n’y a eu aucun changement par rapport au laps de temps entre le moment où les médicaments ont été approuvés par la United States Food and Drug Administration (FDA) puis, ensuite, au Canada.
Les compagnies pharmaceutiques n’ont pas attendu plus longtemps pour mettre en marché de nouveaux médicaments au Canada comparativement aux É.-U. Il y a eu une diminution du pourcentage de médicaments d’abord approuvés par la FDA puis par Santé Canada, mais la même chose s’est produite en Australie où les prix de médicaments ne faisaient pas l’objet de réduction.
Et qu’en est-il de l’allégation selon laquelle les personnes du Canada sont privées de nouveaux médicaments pouvant potentiellement sauver des vies?
Seulement 10 à 15 pour cent des nouveaux médicaments constituent, en fait, des percées thérapeutiques majeures. L’industrie prétend que l’autre 85 à 90 pour cent offre davantage de choix aux patients. Mais les compagnies ne mettent pas à l’essai leurs nouveaux médicaments sur les patients qui ne peuvent pas tolérer les anciens médicaments ou dont la santé ne s’améliore pas avec ces derniers. Alors, personne ne sait vraiment si ces choix signifient quoi que ce soit de positif pour les patients.
Délais d’attente
Les personnes du Canada attendent-elles plus longtemps pour les nouveaux médicaments? Si on fait la comparaison avec les patients aux É.-U. ou au sein de l’Union européenne (UE), alors la réponse est oui.
Pourquoi l’attente est-elle plus longue? Après que les compagnies soumettent des médicaments aux fins d’approbation aux É.-U. ou dans l’UE, elles mettent une autre année avant de les soumettre à Santé Canada. Est-ce en raison du prix des médicaments au Canada? Non. Les prix des médicaments sont plus élevés en Suisse qu’au Canada mais l’attente pour que les médicaments soient approuvés en Suisse est toutefois plus longue qu’au Canada.
Si le prix des médicaments était la raison justifiant l’attente, alors les compagnies devraient soumettre leur demande d’approbation plus tôt en Suisse comparativement au Canada.
Au Canada, les médicaments nouvellement approuvés sont disponibles pour les gens ayant des assurances privées environ un an avant qu’ils puissent être prescrits aux personnes couvertes par les formulaires des médicaments provinciaux et territoriaux. Or, une proportion substantielle de cette différence en temps est entre les mains des compagnies pharmaceutiques.
Si les compagnies pharmaceutiques veulent que leurs médicaments soient couverts par les régimes publics, elles doivent d’abord les soumettre à l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS). L’ACMTS procède alors à un audit d’optimisation des ressources, puis fait des recommandations aux provinces et aux territoires par rapport au financement.
Dans un effort pour accélérer la prise de décision pour déterminer si le régime public devrait payer pour les nouveaux médicaments, les compagnies peuvent, depuis avril 2018, soumettre leur demande à l’ACMTS jusqu’à 180 jours avant que Santé Canada approuve les médicaments. Mais plutôt que tirer tous les avantages de cette disposition, les compagnies soumettent leur demande en moyenne 13 jours avant l’approbation, ce qui ajoute 5,5 mois au temps requis pour prendre une décision finale.
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Protéger les profits
Voilà plus de 50 ans que les compagnies pharmaceutiques profèrent des menaces à chaque fois que les gouvernements font quelque chose qui menace leurs profits.
En 1972, le gouvernement NPD du Manitoba a adopté une loi obligeant les pharmaciens à substituer un médicament générique moins coûteux à celui inscrit sur l’ordonnance, sauf si le médecin ayant prescrit le médicament l’interdisait. De plus, le substitut ne pouvait pas être vendu à un prix plus élevé que celui du médicament équivalent ayant le prix le plus bas. Après l’adoption de cette loi, la président de l’association des compagnies pharmaceutique a adressé une menace peu voilée au gouvernement du Manitoba :
« Il reste à voir combien de valeur les compagnies axées sur la recherche vont accorder au marché du Manitoba. C’est à chaque compagnie de décider si la taille de leur marché au Manitoba va mériter le coût de desservir adéquatement ce marché. S’ils ne peuvent payer les prix, elles pourraient être forcés de fermer. »
Après que le gouvernement libéral de l’Ontario a adopté, en 2017, une législation exigeant que les compagnies fassent rapport au sujet de combien d’argent ils donnaient aux médecins, aux hôpitaux et autre personnel de la santé et établissements de santé, MNC a fait la même menace au sujet de ne pas lancer de nouveaux médicaments au Canada en raison du fardeau réglementaire d’avoir à produire ces rapports.
Maintenant, ils profèrent une menace similaire en se basant sur les prix potentiellement plus bas des médicaments au Canada.
Les compagnies pharmaceutiques font des menaces pour pouvoir continuer à faire des profits extraordinairement élevés. Le reste d’entre nous devons nous tenir debout et défendre le droit des patients à des médicaments à coût abordable.
Joel Lexchin est professeur émérite en politiques de la santé et gestion à l’Université York, Canada