Les défenseurs des soins de santé publics doivent se méfier du Premier ministre élu Mark Carney
Les défenseurs des soins de santé publics doivent se méfier du Premier ministre élu Mark Carney. M. Carney parle le langage des affaires et de l’industrie.
Lorsqu’il est devenu chef du Parti libéral le 9 mars, il a déclaré : « En Amérique, la santé est une grande entreprise (big business). Au Canada, c’est un droit ». Il n’a pas dit qu’il s’agissait d’un système universel et public. Lorsqu’il a mentionné l’assurance-médicaments et les soins dentaires, il a ajouté « pour ceux qui en ont besoin ». Cela ressemble à un programme destiné à combler les lacunes, et non à un programme universel.
Le thème principal de son discours est l’austérité.
Il ne mentionne pas que le Canada est le seul pays développé doté d’un système de santé universel qui n’offre pas de couverture universelle pour les soins dentaires ni les médicaments sur ordonnance.
Le discours de victoire de M. Carney a été très soigneusement écrit. Chaque mot a été pesé pour en mesurer l’impact. Le qualificatif qu’il a utilisé, « pour ceux qui en ont besoin », correspond exactement à la manière dont les opposants à l’assurance-médicaments ont formulé leur opposition. M. Carney semble s’inspirer directement d’eux.
Le paragraphe 9 contient une courte ligne faisant référence aux soins de santé, sans les mots « universel » et « public » : « Les Américains veulent nos ressources, notre eau, notre terre, notre pays. Pensez-y un instant. S’ils réussissent, ils détruiront notre mode de vie. En Amérique, les soins de santé sont une grande entreprise. Au Canada, c’est un droit. L’Amérique est un creuset. Le Canada est une mosaïque. L’Amérique ne reconnaît pas les différences. Elle ne reconnaît pas les Premières nations. Et il n’y aura jamais de droits à la langue française. La joie de vivre, la culture, la langue française font partie de notre identité. Nous devons les protéger, nous devons les promouvoir. Jamais, au grand jamais, nous ne les échangerons contre un quelconque accord commercial ! »
Plus loin, au paragraphe 15 du discours, il reprend la langage de l’industrie :
« Nous savons, en tant que libéraux, que nous ne pouvons pas redistribuer ce que nous n’avons pas. Nous savons que nous ne pouvons pas être forts à l’étranger si nous sommes faibles chez nous, et nous savons que nous ne pouvons pas construire un avenir meilleur si nous ne pouvons pas gérer le présent. Ainsi, lorsque nous nous battons pour une économie forte, nous nous battons aussi pour : un bon système de santé canadien pour tous ; un soutien solide à nos aînés, qui ont bâti ce pays ; des services de garde d’enfants pour les jeunes familles qui travaillent fort ; des soins dentaires et une assurance-médicaments pour tous ceux qui en ont besoin. Nous nous battons pour une économie forte, afin de créer un monde plus durable pour nos enfants et nos petits-enfants, et nous y parviendrons ».
Comme le souligne Nikolas Barry-Shaw, responsable de la campagne sur l’assurance-médicaments au Conseil des Canadiens, la principale demande de Big Pharma et de Big Insurance est de limiter l’éligibilité à « ceux qui en ont besoin » et d’exclure ceux qui bénéficient d’un régime privé.
Voici la Chambre de commerce du Canada, sûrement alliée de l’ancien banquier Carney, qui montre son vrai visage à propos de l’accord sur l’assurance-médicaments en Colombie-Britannique : « Un régime national d’assurance-médicaments n’est pas nécessaire. Ottawa peut travailler avec les provinces pour combler les petites lacunes dans la couverture des médicaments pour une fraction du coût, tout en maintenant le rôle bénéfique joué par les assureurs privés. Non seulement cela améliorerait l’accès aux médicaments, mais ce serait aussi plus responsable sur le plan fiscal ».
Il est clair que Big Pharma semble avoir accepté le régime d’assurance médicaments, mais qu’elle cherche à le modifier pour maximiser ses profits.
Les Canadiens et les Québécois veulent l’assurance-médicaments-même les électeurs conservateurs
Un sondage réalisée l’été dernier par Environics pour la Coalition canadienne de la santé a montré que 63 % des personnes s’identifiant comme conservatrices souhaitaient un régime d’assurance médicaments.
Malgré cela, le chef des conservateurs, Pierre Poilivre, a déclaré en Chambre qu’il s’opposait à l’assurance-médicaments. « Je rejetterai le projet radical d’un régime d’assurance-médicaments à payeur unique », a-t-il déclaré à la Chambre des communes lors du débat sur sa motion visant à renverser le gouvernement et à forcer la tenue d’élections immédiates.
Nous savons que les grandes sociétés pharmaceutiques et les grandes sociétés d’assurance ont les poches pleines pour faire du lobbying sans relâche. Voici comment un porte-parole du lobby privé s’est exprimé récemment : « La Benefits Alliance continuera de rencontrer les décideurs pour s’assurer que l’impact du programme sur les promoteurs de régimes et les payeurs privés est bien compris, quel que soit le parti politique au pouvoir… Quel que soit le concept, il est nécessaire d’aider les Canadiens à trouver un moyen de négocier un programme qui fonctionne pour tous. En cas de changement de gouvernement, nous ne pensons pas que la question sera nécessairement mise en veilleuse ou mise de côté. Nous pensons que les différents gouvernements auront l’occasion de faire des choses différentes.
Ce que le programme de Mark Carney dit sur les soins de santé
M. Carney estime que les investissements dans l’économie permettront à terme de renforcer le système de soins de santé. Il envisage de s’attaquer aux coûts des soins de santé par le biais de la croissance économique.
Son programme affirme que les soins de santé contribuent à une économie robuste, et se concentre sur l’amélioration de la mobilité de la main-d’œuvre au sein du système de santé canadien :
« Un gouvernement dirigé par Mark Carney fournira un leadership fédéral et des incitations pour mettre en œuvre la reconnaissance mutuelle des diplômes des professionnels de la santé afin d’accroître la mobilité interprovinciale dans notre système de soins de santé. La reconnaissance simplifiée des diplômes dans les provinces et les territoires améliorera la flexibilité de la main-d’œuvre, réduira les coûts des soins de santé et diminuera les pénuries régionales ».
Dans sa publication électorale qui s’intitule « C’est le temps de bâtir : piliers économiques pour le changement », il déclare qu’il travaillera avec les provinces et les territoires pour « améliorer l’accès aux médecins de famille, réduire les temps d’attente et […] évaluer de manière transparente la viabilité de ces programmes afin de s’assurer que les générations futures bénéficient de meilleurs services ».
Le lecteur n’a donc aucune idée de la manière dont ces objectifs seront atteints. L’absence d’un plan d’action détaillé laisse les Canadiens avec plus de questions que de réponses. La lutte pour la défense des soins de santé, de l’assurance-médicaments et des soins dentaires se poursuit. Même si ce sont les libéraux, et non les conservateurs, qui forment le gouvernement.