Le gouvernement du Québec se dit « prêt à utiliser » la clause dérogatoire pour obliger les médecins à exercer dans la province
Le premier ministre du Québec, François Legault, a déclaré que son gouvernement pourrait utiliser la clause dérogatoire pour forcer les médecins formés dans les universités québécoises à commencer leur carrière dans le système public de la province.
Le premier ministre a déclaré aux journalistes à l’Assemblée nationale que son gouvernement envisage la possibilité d’exiger des diplômés en médecine du Québec qu’ils remboursent au gouvernement le coût de leurs études, à moins qu’ils n’exercent dans la province pendant une période indéterminée.
« C’est trop important », a déclaré M. Legault. « Nous manquons de médecins. Les médecins que nous formons aux frais des contribuables doivent exercer au Québec ». Le Québec dispose d’un secteur parallèle de soins de santé, financé par le secteur privé, qui défie les idées reçues sur l’universalité des soins de santé. Diverses échappatoires légales permettent à un nombre record de médecins québécois de quitter complètement le secteur public. En début de semaine, l’Ordre des médecins du Québec a demandé la suspension immédiate l’expansion de la privatisation des soins médicaux. Le Dr Mauril Gaudreau, président du Collège, a déclaré que les médecins nouvellement diplômés pourraient être tenus de travailler 5 ou 10 ans dans le secteur public.
Le Dr Gaudreau a déclaré à Radio Canada qu’un cadre est nécessaire pour contrôler la privatisation et que les études récentes du Lancet et de l’Institut CD Howe démontrent que la privatisation n’est pas une panacée ou la solution qu’elle est censée être.
« L’exemple typique est celui d’une opération du genou. L’orthopédiste vous rencontre ici, au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), et vous dit : Je peux le faire en 14 mois. Si vous venez dans une clinique privée, je peux vous opérer en un mois. Cela vous coûtera 25 000 dollars », a déclaré le Dr Gaudreault. « Il s’agit là d’une sollicitation qui, à notre avis, est discutable, voire illégale.
Contrat social rompu
Le Dr Gaudreault a ajouté : « C’est pourquoi nous parlons d’un contrat social brisé, d’un contrat social entre la communauté médicale et le public au sens de la responsabilité individuelle et collective, qui s’effrite ».
Presque au même moment où le Collège critiquait la privatisation, le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, annonçait qu’il déposerait un projet de loi obligeant les médecins de famille et les spécialistes formés au Québec à travailler dans le secteur public québécois après l’obtention de leur diplôme.
M. Dubé a déclaré à Radio-Canada que la formation d’un médecin coûtait entre$ 400 000 et $800 000 dollars de fonds publics et qu’ils devraient donc rendre service aux contributables après leur formation, possiblement selon une formule similaire à celle des Forces armées canadiennes.
Il y a 22 500 médecins au Québec dont 780 se sont complètement retirés du système public. Dans le reste du Canada, le nombre de médecins désengagés est extrêmement faible – de l’ordre de 14 médecins.
Pourquoi cette question est-elle soulevée maintenant ?
La position du Collège des médecins en faveur du secteur public coïncide avec les négociations entre les deux syndicats représentant les médecins et le gouvernement du Québec. Elle surgit également un mois avant le lancement, le 1er décembre, de la nouvelle bureaucratie québécoise de la santé, Santé Québec, qui sera dirigée par deux gestionnaires du secteur privé : Christiane Germain, issue d’une famille d’hôteliers et qui dirige une chaîne d’hôtels de charme, qui présidera le conseil d’administration, et Geneviève Biron, qui dirige l’empire commercial fondé par son père, composé de laboratoires privés et de points de vente de services de santé, en sera la présidente-directrice générale.
La nouvelle entité gouvernementale, Santé Québec, est la pièce centrale de la réforme de la santé du gouvernement du Québec. Santé Québec sera le seul employeur et gestionnaire de tous les employés du secteur de la santé et coordonnera les opérations quotidiennes de soins, tandis que le ministère de la santé se concentrera sur les questions politiques majeures.
Le gouvernement du Québec a été fortement critiqué pour cette réforme du système de santé, y compris la création de Santé Québec, qui a été adoptée en invoquant la clôture de la législature. La Coalition solidarité santé et les syndicats du secteur public du Québec, qui ont déclenché une grève l’automne dernier, sont de fervents détracteurs de cette réforme. Baptisée le Front Commun, la grève a rassemblé 420 000 travailleurs du secteur public, dont plus de 80 % sont des femmes.
Les médecins québécois favorables au régime public ne sont pas impressionnés
La Dre Isabelle LeBlanc, des Médecins québécois pour le régime public (MQRP), un groupe de médecins qui défendent les soins de santé publics, affirme que le secteur privé est comme un vampire qui draine les ressources humaines du secteur public.
« Nous nous demandons pourquoi le fardeau doit peser uniquement sur les jeunes médecins alors que le gouvernement est en train d’étendre les accords avec les CMS (centres médicaux spécialisés pour les chirurgies privées). Si le ministre veut arrêter l’exode des médecins vers le secteur privé, il doit s’attaquer aux conditions qui ont conduit à cet exode. Tant qu’à utiliser l’argument de l’argent des contribuables pour payer notre formation, on est en droit de se demander pourquoi ce même argent sert à gonfler les marges de profit des entreprises privées plutôt qu’à améliorer notre réseau public ».
Selon les médias, le Québec est le pire endroit au Canada en ce qui concerne l’accès à un médecin généraliste. 73,3 % des Québécois avaient un médecin généraliste en 2023, contre 76,6 % en 2022, 79,8 % en 2021, 81,4 % en 2020 et 82 % avant la pandémie de COVID-19.
Selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), 88 % de la population hors Québec avait un médecin de famille. L’analyse de l’ICIS ne contient pas de données sur le Québec, car le Québec ne les fournit pas.
« L’annonce du gouvernement serait extrêmement difficile à mettre en œuvre, je pense donc qu’il s’agit d’un ballon d’essai pour voir quelle sera la réaction. En même temps, il augmente le nombre de permis pour les centres médicaux spécialisés pour les chirurgies privées (CMS) et le nombre de chirurgies qu’ils permettent, et ne fait rien pour améliorer les conditions des infirmières et des autres travailleurs de la santé », selon la Dre LeBlanc.