« Nous ne voulons pas que cela se répande comme une traînée de poudre », déclarent les fonctionnaires de Santé Canada à propos des cliniques privées qui facturent des frais non remboursables aux patients
Les fonctionnaires de Santé Canada chargés de veiller au respect de la Loi canadienne sur la santé par les provinces et les territoires s’inquiètent de l’augmentation des rapports faisant état de cliniques privées à but lucratif facturant aux patients des procédures couvertes par les régimes provinciaux d’assurance-maladie.
Les fonctionnaires de la Division de la loi canadienne sur la santé de Santé Canada ont déclaré que de telles pratiques ne sont pas conformes aux dispositions de la loi et qu’une nouvelle lettre d’interprétation du ministre de la santé est attendue prochainement pour apporter plus de clarté aux provinces et aux territoires.
Ces remarques ont été formulées lors du lancement de la Table ronde de recherche sur la loi canadienne sur la santé à 40 ans à l’Université d’Ottawa le 20 juin avec une présentation sur le rapport annuel de leur département relatif à la loi canadienne sur la santé.
Le rapport de 400 pages de cette année, déposé le 15 février 2024, décrit jusqu’à quel point les provinces et les territoires sont conforme aux exigences de la Loi canadienne sur la santé. Le panel peut être consulté ici –
Lors de la table ronde animée par Tessie Sanci, journaliste spécialisée dans le domaine de la santé au Hill Times, Jennifer Goodyer, directrice exécutive de la Division de la Loi canadienne sur la santé à Santé Canada, a fait remarquer que « la Loi canadienne sur la santé a encore de beaux jours devant elle ».
Mme. Goodyer a rappelé à l’auditoire que la Loi canadienne sur la santé est un exemple de l’utilisation du pouvoir fédéral de dépenser pour établir des normes nationales dans un domaine de compétence provinciale et territoriale, et que c’est la raison pour laquelle les principes de la loi sont intentionnellement larges.
« Le Transfert canadien en matière de santé est souvent décrit comme un transfert inconditionnel aux provinces et aux territoires, mais ce n’est pas le cas. Il est clairement lié à la Loi canadienne sur la santé et au respect de ses critères et conditions » , a déclaré Mme. Goodyer.
Mme. Goodyer a ajouté : « Techniquement, la loi canadienne sur la santé est une mesure volontaire. Les provinces et les territoires pourraient choisir de ne pas adhérer aux critères et aux conditions [de la loi canadienne sur la santé], mais s’ils le faisaient, ils risqueraient de perdre une partie, voire la totalité, du transfert canadien en matière de santé » .
La présentation de Santé Canada a mis en évidence la réglementation du Nouveau-Brunswick limitant les avortements procéduraux financés par Medicare aux établissements hospitaliers, comme un exemple de province ne répondant pas aux critères et conditions de la Loi canadienne sur la santé. La Clinique 554 a fermé ses portes au début de l’année 2024, citant la restriction gouvernementale comme la principale raison pour laquelle la clinique n’était pas financièrement viable.
Le Premier ministre Justin Trudeau a récemment souligné l’accès inadéquat du Nouveau-Brunswick aux services d’avortement lors d’une visite dans la circonscription de la députée libérale Isabelle Thériault à Caraquet, au Nouveau-Brunswick, en mai. Comme le rapporte CBC, M. Trudeau a déclaré : « La fermeture des services de santé et de reproduction offerts par la Clinique 554, le refus de permettre aux femmes de choisir ce qu’il adviendra de leur avenir et de leur corps est une honte ».
M. Trudeau a déclaré : « La fermeture des services de santé et de reproduction offerts par la Clinique 554, le refus de permettre aux femmes de choisir ce qu’il adviendra de leur avenir et de leur corps est une honte ».
M. Trudeau a profité de l’occasion pour promouvoir le nouveau régime d’assurance-médicaments qui couvrira les contraceptifs. « Parce qu’il n’est pas juste que les femmes doivent payer d’avance pour avoir le choix de fonder une famille ou non, c’est pourquoi les stérilets, la pilule, toutes ces choses seront disponibles gratuitement pour les femmes lorsque nous irons de l’avant avec le régime d’assurance-médicaments pour les contraceptifs sur ordonnance » , a déclaré M. Trudeau à la CBC. À la fin de l’année 2020, M. Thériault a présenté, sans succès, une motion exhortant le gouvernement du Nouveau-Brunswick à supprimer le règlement qui empêche les médecins du Nouveau-Brunswick d’être payés pour pratiquer des avortements en dehors d’un hôpital, et à financer les services fournis par la Clinique 554.
La Clinique 554, comme la Clinique Morgentaler avant elle, a pris l’habitude de ne jamais refuser une personne ayant besoin d’un avortement, mais cela a entraîné des troubles financiers constants pour les cliniques, ce qui a finalement conduit à la fin des services d’avortement procédural à la Clinique 554 au début de l’année 2024.
Le rapport du Projet Accès à la justice reproductive N.-B. au sujet d’un projet de recherche financé par Santé Canada, a estimé qu’entre 2015 et 2022, la clinique 554 a versé 52 245 $ en services pro bono aux patients, payant en moyenne 439,03 $ pour chaque patient ayant besoin d’une aide financière.
Les provinces peuvent annuler leurs déductions si elles remédient aux violations des critères et conditions de la Loi canadienne sur la santé, mais dans le cas de l’accès à l’avortement au Nouveau-Brunswick, la province refuse de bouger.
Mme. Goodyer a fait remarquer que le Nouveau-Brunswick accepte ces déductions depuis des années et « qu’il a clairement indiqué qu’il ne modifierait pas cette réglementation. Ils pensent qu’ils ont suffisamment accès à l’avortement par le biais de leurs hôpitaux » .
Les participants à la table ronde ont appris qu’une grande partie du rapport annuel de Santé Canada consiste en une description par les provinces et les territoires de leurs systèmes publics d’assurance maladie et de la manière dont ces systèmes répondent aux exigences de la loi ou les dépassent. Par exemple, les provinces et les territoires offrent une couverture variable pour des services supplémentaires qui ne relèvent pas de la Loi canadienne sur la santé, tels que les soins dentaires et la physiothérapie.
La deuxieme partie de la presentation du Rapport Annuel Général de la Lois canadienne de la santé portait sur la partie du rapport qui brise des mythes qui entourent la Loi canadienne de la santé.
Mme. Goodyer a tout d’abord dissipé le mythe selon lequel tous les soins de santé au Canada doivent être fournis par le secteur public. Elle a précisé que la loi n’interdit pas la prestation de services de santé par des entreprises privées, à condition que les services de santé assurés ne soient pas facturés aux résidents.
« La prestation privée n’est pas contraire à la loi canadienne sur la santé. Ce qui est contraire à la Loi canadienne sur la santé, c’est le paiement privé, il y a donc une différence », a déclaré Mme. Goodyer.
Lee Whitman, Directeur adjoint de la conformité et de l’interprétation à Santé Canada, s’est joint à Mme. Goodyer. M. Whitman a réfuté le mythe selon lequel une personne peut utiliser sa carte d’assurance maladie pour s’inscrire sur une liste d’attente plus courte dans une autre province ou un autre territoire. Bien que le principe de transférabilité énoncé dans la loi canadienne sur la santé signifie que les résidents canadiens sont couverts pour les services de santé d’urgence assurés lors d’absences temporaires de leur province ou territoire d’origine, Whitman a fait remarquer que les résidents doivent obtenir une autorisation préalable pour les services non urgents dans une autre province ou un autre territoire.
Selon la présentation de Santé Canada, la Loi canadienne sur la santé est un texte législatif relativement court qui ne comprend pas de liste de services médicalement couverts. Il appartient aux provinces et aux territoires, en consultation avec leurs associations de professionnels de la santé, de déterminer ce qui est couvert.
M. Whitman a décrit la façon que Santé Canada surveille les systèmes de santé provinciaux et territoriaux pour détecter les cas de non-conformité par le biais de diverses sources publiques, en soulignant que Santé Canada compte sur la coopération des provinces et des territoires car il ne dispose pas de pouvoirs d’enquête en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Lorsqu’un problème de non-conformité se pose, Santé Canada demande à la province ou au territoire d’enquêter, la province ou le territoire fait ensuite part de ses conclusions à Santé Canada, les conclusions sont ensuite discutées et les responsables travaillent ensemble pour s’assurer que la juridiction se conforme à nouveau à la loi. Whitman et Goodyer ont répété que la plupart des problèmes sont résolus par les fonctionnaires.
Le chapitre 2 du rapport de Santé Canada traite également des frais facturés aux patients et décrit les déductions jusqu’en mars 2023. Mme. Goodyer a expliqué qu’en 2023, les premières déductions au titre de la nouvelle politique sur les services de diagnostic, d’un montant total de plus de 76 millions de dollars, ont été prélevées sur les paiements effectués par plusieurs provinces au titre du Transfert canadien en matière de santé. Le rapport de cette année indique que des patients ont été facturés pour des services de diagnostic en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique.
Mme. Goodyer a souligné qu’un grand nombre des provinces qui ont fait l’objet de déductions pour avoir facturé des services de diagnostic à des patients ont « pris des mesures pour éliminer ces frais afin d’évincer le paiement privé tout en améliorant l’accès à leurs résidents » .
« La Colombie-Britannique a acheté un certain nombre de ces cliniques privées et les a intégrées à son système public. Elle a également envoyé des lettres de cessation et d’abstention aux cliniques qui fournissent des services assurés afin qu’elles ne fassent pas payer les examens diagnostiques médicalement nécessaires dans leurs cliniques », a expliqué Mme. Goodyer. Le Manitoba a également supprimé totalement les frais de diagnostic à la charge des patients.
La présentation de Santé Canada indique également que des déductions du Transfert canadien en matière de santé ont été effectuées pour les frais facturés aux patients pour les services d’avortement chirurgical au Nouveau-Brunswick et en Ontario, pour les frais facturés aux patients pour les services chirurgicaux en Colombie-Britannique et pour les frais facturés aux patients pour les services de cataracte à Terre-Neuve-et-Labrador.
Selon M. Whitman, une politique de remboursement mise en œuvre en 2018 a permis aux provinces de se voir rembourser plus de 175 millions de dollars après avoir corrigé les raisons de leurs déductions. Les provinces et les territoires ont jusqu’à deux ans pour mettre en œuvre des mesures correctives telles que l’intégration des cliniques privées dans le système public, l’interdiction des frais facturés aux patients par ces cliniques et l’application de ces interdictions afin de s’assurer que les patients ne sont pas confrontés à des obstacles financiers pour accéder aux soins.
Le public a appris que Santé Canada s’appuie sur les fondements de la loi canadienne sur la santé pour élargir l’accès à des services qui ne font pas partie du panier de services assurés par la loi, notamment en augmentant les transferts aux provinces et aux territoires pour soutenir les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie, en élargissant les soins dentaires et en prévoyant un régime d’assurance-médicaments et des normes nationales en matière de soins de longue durée.
Mme. Goodyer a fait remarquer que plusieurs ministres fédéraux de la santé ont clarifié l’intention et l’application de la loi canadienne sur la santé dans des lettres d’interprétation adressées aux provinces et aux territoires.
Mme. Goodyer a également expliqué la façon dont les changements technologiques ont modifié la manière dont les soins sont dispensés. Mme. Goodyer a souligné que les soins virtuels peuvent améliorer l’accès aux soins primaires et spécialisés. Toutefois, elle a averti que ces progrès entraînent des frais pour les patients pour des services qui seraient considérés comme assurés s’ils étaient fournis en personne par un médecin.
Extraits de la présentation de Santé Canada :
L’univers des soins de santé évolue également, ce qui fait que les professionnels de santé font face à davantage de réglementés, tels ceux qui s’appliquent aux infirmières praticiennes et aux pharmaciens qui fournissent des services qui autrefois étaient réservés aux médecins.
Selon Mme. Goodyer, si ces évolutions peuvent améliorer l’accès aux soins, elles se traduisent également par des frais facturés aux patients pour des services médicalement nécessaires.
« Santé Canada estime que toute innovation dans la prestation des soins de santé devrait profiter à tous les Canadiens, et pas seulement à ceux qui ont les moyens de payer pour ces innovations », a déclaré Mme. Goodyer.
Tessie Sanci a interrogé les panélistes de Santé Canada sur le fait que les fournisseurs privés profite de la situation en facturant des services assurés médicalement. M. Whitman a répondu que « les propriétaires de cliniques privées sont de plus en plus habiles à naviguer dans la législation sur les soins de santé de fa^con à ce qu’ils ne soient pas écarter du marché. »
M. Whitman a cité l’exemple du gouvernement de la Colombie-Britannique qui est intervenu lorsqu’une clinique privée a demandé un abonnement. La Colombie-Britannique a fait savoir à la clinique que les gens ne pouvaient pas payer pour recevoir des soins médicaux rapides. Cette clinique s’est alors tournée vers l’utilisation d’infirmières praticiennes, ce qui, jusqu’à présent, n’a pas été pris en compte dans l’interprétation de la loi canadienne sur la santé.
Mme. Sanci s’est ensuite interrogé sur la réticence à modifier la Loi canadienne sur la santé. Whitman a fait valoir que la Loi est le fondement, mais non le plafond de ce que les provinces et les territoires peuvent fournir en matière de soins de santé. Mme. Goodyer a ajouté qu’il y avait « un risque de perdre ce que nous avons ». Au lieu de modifier la Loi canadienne sur la santé, Mme. Goodyer a déclaré qu’une « législation sœur, qui refléterait les principes et les bons éléments de la Loi canadienne sur la santé », devrait être envisagée pour d’autres domaines des soins de santé.
Kevin Skerrett, de l’Ottawa Health Coalition, affiliée à l’Ontario Health Coalition, a raconté l’histoire du South Keyes Health Center à Ottawa. En octobre dernier, cette clinique sans rendez-vous a mis en place un abonnement de 400 dollars par an pour les personnes souhaitant avoir accès à une infirmière praticienne qui délivrerait des ordonnances et fournirait d’autres services de médecine familiale.
« Nous considérons qu’il s’agit d’une violation de la LCS et de la loi équivalente de l’Ontario », a déclaré M. Skerrett. « Il s’agit d’un service assuré et le fait de le facturer, quelle que soit la personne qui le fournit, constitue une violation… Cela pourrait se répandre comme une traînée de poudre si nous n’y mettons pas un terme » .
« Nous ne voulons pas que cela se répande comme une traînée de poudre », a répondu Mme. Goodyer. « C’est pourquoi les ministres successifs ont déclaré qu’ils étaient très préoccupés par le fait que les infirmières praticiennes facturent des services qui seraient en fait couverts s’ils étaient fournis par un médecin.
Mme. Goodyer a indiqué qu’une nouvelle lettre d’interprétation sera bientôt émise par le ministre fédéral de la santé afin de mettre un terme à l’enracinement de ces pratiques.
Voici le premier d’une série de huit blogs hebdomadaires résumant ce qui a été entendu lors de la table ronde de recherche sur la Loi canadienne sur la santé à 40 ans, qui s’est tenue à l’Université d’Ottawa le 20 juin 2024. Le blogue de la semaine prochaine traitera de la privatisation rampante avec Andrew Longhurst, Rebecca Graff-McRae du Parkland Institute et les docteurs Danyaal Raza et Sheryl Spithoff de Canadian Doctors for Medicare.
Traduction par Anne Lagacé-Dowson.