La crise des ressources humaines dans le secteur de la santé entraîne une augmentation énorme des profits des agences privées de soins infirmiers, créant ainsi deux niveaux d’employés dans les hôpitaux
Selon un article paru dans le Globe and Mail, soixante-dix-huit hôpitaux de l’Ontario ont fait appel à des infirmières d’agences privées l’année dernière, contre 31 en 2020-21.
Les infirmières d’agences privées ne sont pas syndiquées et ne bénéficient d’aucun avantage social ni de pension.
Les agences facturent jusqu’à 140 dollars de l’heure pour les services d’une infirmière diplômée.
Le salaire horaire le plus élevé pour une infirmière salariée ayant de l’ancienneté est d’environ 50 dollars de l’heure.
L’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (ONA) a fourni au Globe and Mail de nouvelles données sur le recours aux agences privées de soins infirmiers au cours des trois dernières années.
Les soixante-dix-huit hôpitaux couverts par les données de l’ONA ont dépensé plus de 168,3 millions de dollars en argent des contribuables pour des agences de soins infirmiers à but lucratif au cours des trois premiers trimestres de 2022 — une augmentation de 341 % par rapport aux 38,1 millions de dollars que les hôpitaux avaient dépensés pour des infirmières d’agences privées au cours de toute l’année 2020-21.
Les infirmières marquent leur mécontentement
« Les infirmières ne sont pas disparues dans une sorte de ravissement cosmique », a déclaré au Globe and Mail Alan Drummond, médecin urgentiste à Perth, en Ontario. L’hôpital rural de Drummond compte sur des infirmières intérimaires — dont beaucoup vivent dans des hôtels — pour maintenir son service d’urgence ouvert cet été. Elles marquent leur mécontentement, en disant : « Il n’y a pas d’avenir là-dedans ».
Dans le cadre des négociations contractuelles qui ont abouti à un arbitrage, l’ONA a demandé à l’Association des hôpitaux de l’Ontario (OHA) de révéler le recours aux infirmières d’agences privées.
L’arbitre William Kaplan a déclaré dans sa décision que « la vaste expansion du recours aux heures supplémentaires et aux infirmières d’agences — démontrée par une croissance vraiment étonnante dans les deux cas — crée un véritable problème de recrutement et de maintien en poste » pour les hôpitaux. Il a accordé aux infirmières de l’ONA une augmentation salariale moyenne de 11 % sur deux ans.
L’été dernier, la Coalition ontarienne de la santé (COS), qui représente 500 organisations, a dénoncé ce même problème.
Le Québec a adopté en avril une loi interdisant le recours aux agences de recrutement privées dans le système de santé d’ici la fin de 2025.
L’objectif à long terme est d’interdire complètement le recours aux agences de soins infirmiers à but lucratif d’ici décembre 2024 dans des villes comme Québec et Montréal, et d’ici décembre 2025 dans le reste de la province.
Le recours aux agences de soins infirmiers à but lucratif a coûté 960 millions de dollars au système public québécois en 2022, soit une augmentation de 380 % par rapport à 2016, selon les données du ministère de la Santé.
Cela représente 14,8 millions d’heures travaillées, contre 4,8 millions il y a six ans, selon la Montreal Gazette.
La nouvelle loi déterminera les conditions permettant au secteur de la santé d’utiliser des agences à but lucratif, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 150 000 dollars en cas de non-respect.
Le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, a déclaré qu’environ 30 000 travailleurs et travailleuses de la santé quittent le réseau public chaque année, dont 10 000 partent à la retraite. M. Dubé espère que de bonnes conventions collectives seront négociées avec les syndicats afin de retenir les 20 000 autres travailleurs et travailleuses qui quittent le réseau pour d’autres raisons.
Les syndicats d’infirmières du Québec ne sont pas très impressionnés par l’approche des ministres, bien qu’ils en apprécient l’intention.
« Elles sont parachutées et ne connaissent pas les patients, ni ne savent où se trouve quoi que ce soit », a déclaré une infirmière montréalaise sous le couvert de l’anonymat. « Cela signifie que nous devons les former, tout en sachant qu’elles gagnent beaucoup plus d’argent que nous et qu’elles vont tout simplement s’envoler. Ce n’est juste ni pour les patients ni pour le personnel. »
La Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers (FCSII) a une position très claire sur cette situation. La FCSII recommande que :
- Le gouvernement fédéral collabore avec les provinces et les territoires pour déterminer les dépenses liées aux agences privées d’infirmières, y compris la divulgation des sommes totales dépensées, le taux salarial moyen, le nombre d’infirmières, le changement au salaire au cours des cinq dernières années, et la façon dont ces données se comparent entre les secteurs des soins de santé, y compris dans les hôpitaux, les soins de longue durée et les soins à domicile.
- Le gouvernement fédéral collabore avec les provinces et les territoires pour faire enquête et déterminer ce que la population canadienne reçoit en retour des sommes dépensées pour l’embauche d’infirmières venant d’agences.
- Le gouvernement fédéral collabore avec les provinces et les territoires pour limiter les sommes que peuvent dépenser les hôpitaux pour embaucher des infirmières et des infirmiers d’agences.